Les contradictions stratégiques entre I'Etat et les entreprises
Le cas d’Eramet
en Nouvelle-Calédonie
Dossier Nickel
Participants :
Romain GOLDSCHMIDT, Christophe LEROY, Christophe Depeux, Céline LEURENT, Frédéric LAMONERIE, Ronan LEMAIRE, Jean ROBIN, Charles-Henri GUILHAUME (responsabie de groupe)
A vertissem ent
Ce essai a élé réeigé per tles élueianls tle V Ecole tle Guerre Econom iq ue, grou p E L CA, pour
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V auto rie a tic ex plic ile d eee auteurs et d V Ecole tle Guerre Economique.
EGE Promotion MSIE 2
Juillet 2006
INTRODUCTION
« Si le nickel est stratégique, tout est stratégique ! [ … ] On ne peut à la fois vouloir transformer l’économie française en une économie de marché régulée et fixer les règles du jeu » nous disait Elie Cohen, au sujet du plan Villepin sur la protection des secteurs stratégiques1.
Fin 2005, cet éminent économiste français posait en ces termes le débat de fond qui anime bon nombre de grandes puissances, et notamment la France. Faut-il privilégier une stratégie de puissance ou de marché, notamment sur un domaine aussi sensible et stratégique que l’énergie ? N’y a t-il pas parfois conflit d’intérêt entre la résolution de crises de politiques intérieures et l’accroissement de puissance géoéconomique d’un état à long terme?
Sommaire
Le Nickel, illustration d’une problématique de l’indépendance française en ressources naturelles dans un univers de guerre économique
La course au Nickel, pourquoi ? L’importance de cette ressource naturelle 1.1. Présentation du Nickel : usage, importance
1.2. Ressources mondiales de Nickel
1.3. Un environnement riche en affrontements stratégiques
1.4 Les acteurs du Nickel
1.4.1.Les principaux acteurs présentation des grands acteurs mondiaux
1.4.2 Un secteur en très forte concentration, les OPA en cours
1.4.3. Un métier historique en France
Quand la guerre économique se déplace sur un échiquier politique, le cas de la mine du Nord de Koniambo (Nouvelle-Calédonie)
2.1. Une place dans le Pacifique, un coút pour la France
2.2 L’affaire de la mine du nord de Koniambo, enjeu géoéconomique majeur 2.2.1 Les Faits
2.2.2. Gestion de l’événement par les industriels canadiens de Falconbridge 2.2.3 Gestion de l’événement par Eramet, l’industriel français
2.2.4. Gestion de l’événement par les indépendantistes
Une stratégie de puissance, supérieure aux intérêts privés, doit-elle voir le jour sur ce type de sujet ?
3.1. Le nickel a t-il été identifié comme stratégique au Canada contrairement à la France 3.2. Les contradictions de la position française dans cette affaire
3.2.1. Contradictions économiques
3.2.2. Contradictions politiques
3.2.3. L’absence de stratégie de puissance, la logique perdant-perdant
3.3. Etat des lieux du débat en France
3.3.1. Le Nickel, vecteur illusoire de paix sociale et de développement ?
3.3.2 Un consensus sur la négation de la dimension stratégique
1 Le Monde, 2 septembre 2005.
1. La course au Nickel, pourquoi ?
L’importance de cette ressource naturelle
1.1 Présentation du Nickel (rappels) : usage, importance
Le Nickel est un métal blanc argenté et malléable qui a la caractéristique d’être fortement résistant à l’oxydation et à la corrosion et a des qualités magnétiques et chimique similaires à celles du cobalt et du fer.
Le Nickel est aujourd’hui le 5ème élément sur Terre en termes d’utilisation. Il est utilisé dans tous les éléments à base d’acier précisément pour ses qualités « anti-corrosion » et « inoxydable ».
Cela en fait un élément incontournable, utilisé pour sa résistance dans les secteurs majeurs de la vie économique : tant dans l’industrie mécanique, l’agroalimentaire, la chimie, les transports, la médecine ou encore la chirurgie.
Il se retrouve dans les pièces de monnaie, le plaquage du fer, du cuivre du laiton, dans certaines combinaisons chimiques. Il est notamment utilisé dans les industries chimique et navale du fait de sa forte résistance.
Le nickel est également utilisé dans certains alliages. Par exemple, l’alliage fer-nickel (invar) qui contient 36% de nickel est pratiquement indilatable sous une température inférieure à 200°C. Il est utilisé dans l’horlogerie, pour les cuves des navires ou dans les écrans de téléviseurs cathodiques. Les alliages cuivre-nickel (cupronickels) sont très résistants à la corrosion notamment dans les milieux acides ou marins. Les superalliages, à savoir les alliages de composition complexe à base de nickel ou de cobalt sont particulièrement résistant à la corrosion et ont de bonnes propriétés mécaniques utilisés dans l’industrie aéronautique pour les turboréacteurs.
Une grande partie de la production de nickel est utilisée dans les industries dérivées, dans les platines électroniques, l’outillage.
Sans Nickel pas d’opération chirurgicale propre !
Le nickel est très présent également dans le secteur automobile, de la construction des véhicules aux accessoires, jusqu’au recyclage, de plus en plus imposé aux constructeurs. C’est un élément très utile notamment dans la fabrication de moteurs hybrides (utilisant des batteries rechargeables à base de nickel), véritable enjeu d’avenir pour cette industrie. Le nickel est recyclable à vie, élément crucial dans un univers de production industrielle qui se norme toujours plus dans le sens d’un développement durable. L’acier compte pour les 2/3 de l’utilisation mondiale du nickel. Depuis 1950, la production d’acier inoxydable connaît une croissance de 6% par an en moyenne. La demande en Acier est de plus en plus forte depuis 2000 et dépasse celle de l’Allemagne depuis 2005. Devant ces besoins qui ne cessent d’ augmenter, les sociétés Chinoises et Australiennes se sont associées pour chercher des mines en Chine. Les prix du Nickel ont atteint leur plus haut niveau depuis 1989 en 2005 et devant les restructurations actuelles du marché, la tendance n’ est pas prête de s’ inverser.
Répartition des débouchés par secteur d’utilisation en 2003
Répartition des débouchés par secteur d’utilisation en 2003
(source: secrétariat de la CNUCED)
4%
68%
4% 6%
8%
10%
Aciers inoxydables Autres alliages pour l’acier
Alliages non ferreux Placage
Fonderie Autres
Source : Secrétariat de la CNUCED d’après les données statistiques du Groupe d’étude international sur le nickel
1.2. Ressources mondiales de Nickel
Deux types de minerais :
Les minerais sulfurés (65% de la production mondiale). Ces minerais sont essentiellement présents en Australie, en Russie, en Chine, en Afrique du Sud, en Finlande, aux Etats-Unis et au Canada. La concentration en nickel de ces mines en nickel est d’environ 1.5%. L’avantage de cette méthode est qu’elle permet d’extraire dans le même temps d’autres minerais comme l’or, le cuivre, l’argent ou encore le palladium, le platine et le cobalt.
Les minerais oxydés, dont la principale ressource mondiale se trouve en Nouvelle-Calédonie et dans lesquels la concentration de Nickel est plus élevée variant entre 3 et 5%.
Dans la présentation mondiale des réserves et ressources en Nickel, des disparités sont à noter :
La production par pays (ci-dessus) n’est pas nécessairement en phase en phase avec les réserves (ci-dessous). Ainsi, la Russie qui est premier producteur de Nickel, ne se retrouve que 7eme au niveau des ressources en Nickel.
Principaux pays producteurs de nickel, estimations pour 2005,
(source: secretariat de la CNUCED)
19%
25%
5%
5%
5%
12%
8%
9%
12%
Fédération de Russie Australie
Canada
Indonésie
Nouvelle Calédonie Cuba
Colombie
Chine
Autres
Production 2005 Réserves Ressources
Australie 210 000 22 000 000 27 000 000
Fédération de Russie 315 000 6 600 000 9 200 000
Cuba 75 000 5 600 000 23 000 000
Canada 196 000 4 900 000 15 000 000
Brésil 46 000 4 500 000 8 300 000
Nouvelle Calédonie 122 000 4 400 000 12 000 000
Afrique du Sud 41 700 3 700 000 12 000 000
Indonésie 140 000 3 200 000 13 000 000
Autres pays 26 000 2 100 000 5 900 000
Chine 71 000 1 100 000 7 600 000
Philippines 22 000 940 000 5 200 000
Colombie 72 500 830 000 1 100 000
République Dominicaine 47 000 720 000 1 000 000
Venezuela 22 000 560 000 630 000
Botswana 37 100 490 000 920 000
Grèce 22 100 490 000 900 000
Zimbabwe 9 800 15 000 260 000
Etats Unis – – –
Total mondial 1475200 62145000 143 010 000
Source : Tableau classé par ordre de réserves décroissantes reformaté à partir de issu du PDF du U.S. Geological Survey, Mineral Commodity Summaries, January 2006.
En comparant les chiffres, il est intéressant de noter que les ressources sont nettement supérieures aux réserves des pays. Certains gisements comme au Canada pourraient permettre au pays de multiplier par trois voire dix sa production actuelle en Nickel (les ressources étant estimées à 15 Millions quand les réserves sont estimées à 4,9 Millions seulement.
On note dans les communications des industriels du Nickel une confusion entretenue sur l’état des réserves et/ou ressources, rappelons de quoi il s’agit :
Les réserves :
Une définition géologique appliquée à un gisement : ce qui est estimé être la production cumulée le jour où l’on arrêtera de produire. Une définition économique: la quantité de nickel qu’il sera possible d’extraire dans les conditions économiques et techniques du moment.
Les ressources ou réserves probables supplémentaires:
Quantité de minerai en place dans le sous-sol et définie indépendamment de toute considération sur la proportion qu’il sera possible d’en extraire. Le volume des ressources est nécessairement supérieur à celui des réserves. Celles-ci peuvent alors aller du simple au double et peuvent jouer un róle majeur dans le cadre des opérations financières en cours.
1.3 Un environnement riche en affrontements stratégiques
L’étude du marché mondial du nickel et des stratégies de puissance qui lui sont liées nous conduit à nous intéresser aux questions qui traitent des matières premières en général :
d’une part à cause de la mondialisation des enjeux, qui fait de l’énergie une des questions majeures pour les Etats et les entreprises de taille mondiale.
d’autre part du fait de l’utilisation du nickel dans la production d’autres matières, comme certains aciers par exemple.
1.3.1 Le constat est plutót évident : une situation de quasi pénurie
Une demande croissante, exponentielle, notamment à cause de la croissance énorme des besoins chinois, se heurte à une offre qui peine à augmenter, pour des raisons principalement structurelles.
« La flambée des matières premières commence à désorganiser nos vieilles économies occidentales. Depuis le début de l’année (2006) l’ensemble de ces ressources minières, hors le pétrole, ont flambé de 30%, c’est-à-dire trois fois plus que les actions (avant mini krach de mai) pourtant dopées à l’amphétamine des fusions et acquisitions. Et tous les experts en conviennent, ce mouvement qui a débuté en 2003 n’est pas près de s’arrêter. Le fossé entre l’offre et la demande – ce que les investisseurs appellent le squeeze – n’a jamais été aussi important. »2
Beaucoup de secteurs sont au bord de la crise, celui du pétrole brut (le prix du baril va de record en record, alors que la production augmente faiblement), celui de l’aluminium (à titre d’exemple l’Association Chinoise des Industriels de l’Automobile prévoie une demande en aluminium pour leur seul secteur aux alentours d’ 1.4 million de tonnes d’ici la fin 2005 et de 2.5 millions de tonnes d’ici 2010), ou encore celui du fer (augmentation de 30% du prix du minerai de fer entre juin 2003 et juin 2005 ).
Le secteur de l’acier est quant à lui déjà tombé dans la crise en 2004 (principalement à cause de la pression exercée par la forte demande chinoise), et peine à en sortir :
« La crise de l’acier est grave pour nos entreprises et pour notre économie, dangereuse pour la croissance. Depuis quatre ans, le prix du métal n’a cessé d’augmenter : et de janvier à avril, la hausse a approché 30 %. Cette crise touche le secteur de la métallurgie, mais également celui de la mécanique, du bâtiment et des travaux publics.
2 Yves de Kerdrel : Les bouches d’égout du «monde fini», 18 avril 2006, Le Figaro
La raison principale est connue : avec une croissance annuelle voisine de 10 %, la Chine importe massivement des matières premières, ce qui déséquilibre le marché mondial et fait flamber les prix. À cela s’ajoutent les tensions dans le transport maritime dont les tarifs s’envolent.
Depuis peu on craint une pénurie de matières premières avec comme conséquence la paralysie de l’outil de production. »3
Plus généralement, on assiste à un affrontement entre grandes puissances, par leurs entreprises du secteur de l’énergie interposées, ou directement par l’implication des Etats eux-mêmes. L’exemple le plus évident de cette implication directe est sans doute celui des Etats-Unis en Irak. Quand les Etats n’interviennent pas, ils soutiennent leurs champions nationaux : le gouvernement russe soutient Gazprom, le gouvernement indien Mittal, le gouvernement français Gaz de France, etc.
Concernant la guerre économique que se sont livrés les Etats via leurs champions nationaux de l’énergie, on peut notamment citer :
– dans le domaine du pétrole : le chinois CNOOC et l’américain UNOCAL (l’offre d’achat hostile du premier sur le second ayant été empêchée par le gouvernement américain),
– dans le domaine de l’acier : l’indien MITTAL et le français ARCELOR (l’offre d’achat hostile du premier sur le second ayant pour l’instant été refusée par le gouvernement français, à ce jour une fusion est désormais envisagée),
– dans le domaine du gaz : le russe GAZPROM et l’anglais PNG (l’offre d’achat du premier sur le second venant d’être acceptée par le gouvernement anglais, qui aurait refusé une même offre sur son leader national, en l’occurrence Centrica).
Le cas particulier du nickel
Le nickel, sujet plus particulier de cette étude, ne déroge pas à la règle des marchés de l’énergie. Certes, la production augmente d’une manière régulière depuis de nombreuses années :
Production mondiale de nickel entre 1935 et 2005e (en tonnes) – Site de la CNUCED Mais cela pourrait rapidement devenir insuffisant par rapport aux besoins du marché :
3 Sénat, 29.4.2004, http://www.senat.fr/cra/s20040429/s20040429H6.html
Evolution de la demande de nickel entre 1950 et 2005e en milliers de tonnes – site du CNUCED
Le nombre de pays engagés dans le commerce du nickel est relativement faible. En outre, à eux seuls le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Chine (avec Taïwan), la République de Corée, l’Italie et la Finlande ont compté pour environ 70% de l’utilisation mondiale de ce produit entre 2000 et 2004.4
1.3.2 Le marché du nickel est sans doute l’un des plus instables.
La Russie, un des producteurs principaux, peut jouer le même róle stratégique que celui qu’il joue sur le marché du gaz avec Gazprom. « L’offre mondiale est parfois difficile à prévoir, notamment pour le nickel en provenance de Fédération de Russie. Ce pays possède en effet des stocks de métal importants et leur écoulement aléatoire influence fortement le marché à court terme. Mais l’offre varie également en fonction des mises en chantier d’usines, de la découverte de nouveaux gisements ou encore en raison de sanctions spécifiques telles que celles pratiquées dans le cadre de la loi américaine Helms-Burton concernant Cuba. En outre, des facteurs exogènes tels que les prix des déchets d’inox, produits substituables au nickel primaire, les grèves dans un certain nombre d’entreprises ou les changements dans les volumes des stocks (chute de 78% au LME en 2000) contribuent à l’instabilité de l’offre. »5
4 CNUCED – 2005
5 CNUCED – 2005
Carte des flux de nickel entre les principaux acteurs du marché sur la période 2001-2005 Site du Cnuced
Un autre particularisme au secteur du nickel par rapport à d’autres matières premières tient au fait qu’un petit pays, Cuba, joue un róle non négligeable dans les négociations au niveau mondial. Par exemple, la Chine a exprimé clairement son souhait de s’approvisionner en nickel à Cuba (tournée de Hu Jin Tao en novembre 2004) :
« Venu sur l’invitation de son homologue cubain, le président chinois est arrivé accompagné d’une importante délégation de chefs d’entreprise chinois. Quelques heures après son atterrissage, une quinzaine d’accords avaient été signés entre les deux pays. Une moisson qu’avait anticipée Fidel Castro : lors d’une intervention de quatre heures à la télévision nationale, la semaine dernière, le chef de l’Etat cubain avait en effet dévoilé des projets d’investissements chinois, notamment dans le secteur du nickel, visant à terme à doubler la production nationale de nickel.
Le nickel est devenu la principale exportation de Cuba, dépassant même le sucre, qui régissait l’économie cubaine depuis des décennies. Les contrats signés lundi entre la Chine et Cuba concernent la création de plusieurs entreprises mixtes d’extraction du minerai, dans l’est de l’île. La Chine est particulièrement intéressée par ce marché, nécessaire à sa propre production d’acier inoxydable. »6
La France, quant à elle, possède avec la Nouvelle Calédonie l’un des premiers producteurs au monde de nickel. Le but de cette étude sera notamment d’évaluer comment elle utilise ce formidable levier pour tirer son épingle du jeu de puissance qui fait rage dans le domaine de l’énergie en ce moment, et pour longtemps a priori.
1.4 Les acteurs du Nickel
1.4.1 Les principaux acteurs, présentation des grands acteurs mondiaux
Cinq grands groupes mondiaux fournissent plus de la moitié de l’offre mondiale : Norilsk (Russie), INCO (Canada) et Falconbridge (Canada), qui sont en cours de rapprochement, BHP Billiton (Australie) et Eramet-SLN (France). La seconde moitié de l’offre mondiale est fournie par une trentaine de sociétés disséminées à travers le monde.
Le groupe Norilsk est l’un des leaders mondiaux. C’est le plus grand producteur du monde de nickel et de palladium et l’un des plus grands producteurs de platine. Avec 222 Mt à 2,21 % nickel et 4,12 % cuivre, les réserves minières de Norilsk sont assez impressionnantes7. Le groupe nickel de MMC Norilsk produit du nickel, du cuivre, du cobalt, du palladium, du platine et d’autres métaux précieux (or, argent), sélénium, tellurium, soufre technique, houille pour les besoins industriels.
Le groupe a subi une restructuration en 2000. Dans la fédération de Russie, le Norilsk détient près de 96% des parts de marché du nickel, 55% du cuivre et 95% de la production de cobalt. Norilsk représente 4.3% de l’exportation russe. La part de Norilsk dans le PIB de la Russie est de 1.9%8. Norilsk est résolument considéré comme un groupe stratégique par les autorités Russes.
Le groupe BHP Billiton Limited est issu de la fusion de Billiton et BHP en mars 2001, BHP Billiton est le 2e groupe minier mondial : acier et ferro-alliages, acier inoxydable, acier enrichi en carbone, minerai de fer, manganèse, nickel, chrome, aluminium, pétrole (production de 79 millions de barils de pétrole par an, 7,9 Mds de m3 de – gaz naturel et 697 500tonnes de GPL). Le groupe intervient à tous les stades du processus de production : extraction de bauxite, affinage de l’alumine et fusion de l’aluminium9.
Il acquiert Western Mining Corporation en 2005 à la suite d’une OPA.
6 Sara Roumette, 23/11/2004, RFI (Radio France International)
7 Source : Revue ECOMINE, par N. stolojan, BRGM, Septembre 2004
8 Source : Norilsk
9 Source : www.ernstrade.com
Le groupe minier et d’énergie BHP Billiton a atteint des records de production de cuivre et de nickel au 1er trimestre de son exercice 2005/2006, résultat de l’intégration de l’australien WMC. Au cours du 3ème trimestre 2005, sa production de cuivre a atteint 308.900 tonnes, soit + 24% par rapport à la période correspondante de l’exercice précédent. La production de nickel a augmenté de 125% à 44.100 tonnes sur un an et de 39% par rapport au trimestre précédent.
BHP cueille les premiers fruits de son acquisition de l’australien WMC Resources, qui lui a permis de devenir le 2ème producteur mondial de cuivre, après le groupe public chilien Codelco, et le 3ème producteur mondial de nickel derrière le canadien Inco et le russe Norilsk.
Sur le territoire de Nouvelle-Calédonie, le marché est réparti entre quelques acteurs principaux :
La Société Le Nickel (SLN), est l’opérateur le plus ancien au niveau mondial. C’est une filiale d’Eramet depuis 1985. Elle est détenue à 60 % par Eramet, 30% par la société d’économie mixte STCPI et à 10 % par la Nisshin Steel Company, un des principaux producteurs japonais d’aciers inoxydables.
Les mineurs indépendants dits « petits mineurs », qui pratiquent l’extraction sans traitement. (Eramet est le seul groupe à disposer d’une usine de traitement sur le territoire).
La Société des Mines du Sud Pacifique (SMSP) qui a été rachetée avec l’aide de l’ état à Jacques Lafleur en 1990 par la SOFINOR (société d’économie mixte contrólée par la Province Nord, à majorité mélanésienne). La SMSP est en partenariat avec Falconbridge (Canada) en ce qui concerne l’exploitation du gisement Nord.
Falconbridge limited (Canada) : projet Nord. Fruit de la fusion en 2005 entre Noranda et Falconbridge, Falconbridge Limited emploie environ 14 500 personnes dans ses installations et ses bureaux dans 18 pays. C’est le 4e producteur de cuivre, 4e producteur de nickel et 5e producteur de zinc mondial. Falconbridge est l’un des plus grands producteurs de zinc et de nickel au monde ainsi qu’un important producteur de cuivre, d’aluminium primaire et ouvré, de cobalt, de plomb, de molybdène, d’argent, d’or et d’acide sulfurique10.
INCO (Canada) : Projet Sud. La société INCO (International Nickel Company Ltd) a depuis le début du XXème siècle des liens étroits avec la Nouvelle-Calédonie. Elle naquit en effet, en 1902, de la fusion de sept sociétés dont deux qui, installées en Nouvelle-Calédonie, y détenaient alors un domaine minier. Toutefois ce domaine fut cédé quelques années plus tard. L’entreprise canadienne développa son activité nickel au Canada sans pour autant oublier la NouvelleCalédonie avec laquelle elle noua de nouveaux contacts vers la fin des années 50, concrétisés par la prise d’une option sur le gisement de la plaine des Lacs, détenu alors par M. Edouard Pentecost (dont la société a cessé ses activités en 1998).
A la suite de la décision d’INCO en octobre 2004 de lancer la construction de l’usine de Goro Nickel, les trois provinces ont décidé de se réunir au sein d’une société de participation afin de prendre part, à hauteur de 10 %, à l’actionnariat de Goro Nickel.
Cette société, dénommée Société de Participation Minière du Sud Calédonien (SPMSC) est
détenue à 50 % par la province Sud et à 25 % par chacune des provinces du Nord et des îles 11.
1.4.2 Un secteur en très forte concentration, les OPA en cours
La valse d’OPA qui anime le secteur du nickel est révélatrice de mouvements stratégiques dans le secteur minier12.
La tendance forte à la concentration des grands groupes miniers d’extraction et de traitement du nickel est due à la réunion de plusieurs facteurs :
10 Source : Falconbridge limited
11 Source : Rapport sur la mission de contróle en Nouvelle-Calédonie relative à la défiscalisation des usines de traitement du nickel par M. Henri Torre, Sénateur.
12 Voir en annexe la cartographie des OPA en cours (dernière annexe)
– Tout d’abord, les cours du nickel étant actuellement très élevés, les groupes dégagent d’importantes liquidités.
– Ensuite, leur désendettement accompli, ils hésitent à investir dans de nouveaux projets en raison de la forte pression fiscale qui s’exerce sur le secteur et des coúts élevés de production entraînés en partie par l’importance croissante accordée au respect de l’environnement.
Ainsi, le recours aux fusions acquisitions semble représenter la seule opportunité de croissance.
La valse des acquisitions
Le groupe français Eramet a acquis en mai le canadien Weda Bay, ce qui va lui permettre à terme de doubler sa production. Weda Bay, bien implanté en Indonésie, va lui permettre de s’appuyer sur un environnement favorable et un partenariat solide avec P.T. Antam. L’acquisition de Weda Bay peut être considérée comme un vecteur de consolidation de la dynamique de développement d’Eramet en Indonésie.13
La fusion entre les groupes BHP et Billiton est à l’origine de la création du groupe BHP Billiton, qui se portera acquéreur en 2005 du géant minier australien WMC Resources ltd (anciennement Western Mining cie).
La naissance agitée du premier producteur mondial en cours de gestation
Afin d’assurer sa croissance extérieure, le canadien INCO lance une OPA sur Falconbrige fin 2005. Profitant d’une période de flottement, Le groupe canadien Teck Cominco a effectué à son tour au mois de mai une offre agressive sur Inco, sous réserve d’un arrêt du rapprochement avec Falconbridge. Le suisse Xstrata en profite pour lancer une OPA hostile sur Falconbridge, dont elle détient 19,9 % du capital.
Un chevalier blanc, l’américain Phelps Dodge, sort récemment du bois et convient d’une offre amicale commune sur Inco et Falconbridge qui permettra, outre de sortir du piège de Teck Cominco et Xstrata, de fonder le premier groupe mondial dans le domaine du nickel, l’américano-canadien Phelps Dodge Inco14.
Dans cette logique, Eramet représente une cible idéale pour des groupes miniers plus importants. Outre ses réserves de nickel, le groupe dispose de secteurs à forte valeur ajoutée comme le traitement de haute pureté ou l’élaboration d’alliages et superalliages. Le champion tricolore a reconduit son pacte d’actionnaire avec la famille Duval pour un an, mais personne n’est dupe quant à la fragilité à terme de son actionnariat, l’Etat français (actionnaire minoritaire important) n’affichant pas non plus des intentions fermes. La spéculation qui entoure le titre ces derniers temps dans cet environnement de concentration mondiale montre bien toute la délicatesse de sa position désormais.
1.4.3. Un métier historique en France, notamment via Eramet
Le minerai de nickel a été découvert en Nouvelle-Calédonie par M. Garnier en 1864
Le Nickel est historique en France de par la présence des mines exploitée par la Nickel-SLN (Eramet) crée en 1880 exploitant plusieurs gisements de Nouvelle Calédonie et par la SMSP (Société Minière du Sud Pacifique) depuis plus d’un demi-siècle.
La première représente 40% de la production de l’île quand la deuxième pèse 20%. En 1990, la SMSP (groupe Lafleur) est cédé à Sofinor. Eramet a une position de leader mondial dans ses 3 activités : les alliages et aciers spéciaux à hautes performances, le manganèse et le nickel. Elle a construit sa croissance par plusieurs vagues d’acquisition et de regroupement sur ces 3 activités15.
Eramet Alliages est le premier producteur mondial d’acier rapide, se positionne parmi les premiers producteurs mondiaux d’aciers spéciaux à hautes performances et de superalliages ainsi que dans la production de pièces matricées pour l’aéronautique et l’énergie. La production est regroupée sur 8 sites en Frances organisés autour de 2 póles : « Le premier produit des pièces matricées en
13 Source ERAMET
14 Source La Tribune du 27 juin 2006
15 sources : http://www.eramet.fr/fr/groupe/profil.php
aluminium, titane, aciers spéciaux et superalliages de nickel ou de cobalt, destinées essentiellement au marché aéronautique et spatial, et à la production d’énergie (turbines à gaz). Le second produit principalement des barres, fils, billettes et ébauches forgées en aciers spéciaux et superalliages destinés à de nombreux marchés à haute technicité tels que l’aéronautique, les outillages, l’automobile, la construction mécanique, le médical, …. » Erasteel produit des aciers spéciaux (aciers rapides) dans 9 usines en France, en Suède, Royaume-Uni, Etats-Unis et bientót en Chine, destinés à la fabrication d’outils de coupe et d’outillages industriels.
Eramet Comilog Manganèse (après l’acquisition des unités de production d’alliages de manganèse d’Elkem en 1999) est aujourd’hui le premier producteur mondial d’alliages de manganèse pour la sidérurgie avec la gamme de produits la plus étendue du marché. et également le premier producteur mondial de produits à base de manganèse pour l’industrie chimique : piles électriques, ferrites, engrais, alimentation animale… Les gisements de Moanda (Gabon). Le Groupe ERAMET est l’un des principaux producteurs de nickel du monde occidental et le leader mondial du ferronickel.
En Nouvelle-Calédonie, sa filiale Le Nickel-SLN exploite d’importants gisements de minerai oxydé (garniérites) sur 4 centres miniers situés dans le Nord et le Sud de l’Ile. Elle transforme le minerai dans son usine métallurgique de Doniambo, à proximité de Nouméa, la plus grande usine de ferronickel au monde.
En France, la raffinerie d’Eramet située à Sandouville près du Havre, produit du nickel de haute pureté et des sels de Nickel et de Cobalt à partir d’un produit intermédiaire (la matte de nickel) élaborée à Doniambo.
2. Quand la guerre économique se déplace sur un échiquier politique,
le cas de la mine du Nord de Koniambo (Nouvelle-Calédonie)
2.1 La place la plus chère du Pacifique
2.1.1 Un développement économique dans l’impasse
Deux facteurs président au faible potentiel industriel de la Nouvelle Calédonie :
Son caractère insulaire qui en faisant croître de façon substantielle les charges de transport viennent perturber la compétitivité des produits sur les marchés extérieurs.
L’étroitesse du marché intérieur, soit 230000 personnes, qui ne permet pas de développement industriel pour des raisons de rentabilité à des niveaux de prix réalistes.
Quid des secteurs économiques principaux sur l’île ? A titre de comparaison, le secteur des produits de la mer n’excède pas 5% du niveau des exportations de nickel. Le tourisme quant à lui n’affiche pas plus de 100000 visiteurs par an pour des recettes ne dépassant pas les 80 millions d’ euros annuels. L’agriculture contribue peu à la richesse de l’île, le caillou ne permet pas une intensification de l’élevage et de l’agriculture.
Ces faiblesses structurelles poussent donc naturellement à une mise sous perfusion de l’économie calédonienne, induisant des niveaux de dépenses non négligeables pour la Métropole.
La dépendance aux transferts publics
La Nouvelle-Calédonie affiche une certaine dépendance aux transferts publics, qui peuvent s’opérer sous diverses formes, subventions directes, dotations, défiscalisations, salaires des fonctionnaires en poste ou aux pensions des retraités. En 1999, le secteur public représentait plus du quart de la valeur ajoutée calédonienne, chiffre hautement symbolique puisque représentant plus de trois fois la valeur ajoutée générée dans les activités d’extraction du minerai et de métallurgie du nickel.
– Exemple : Répartition de la valeur ajoutée dans les principaux secteurs en 1999 (en %)16
Secteur | Part dans la valeur ajoutée |
Secteur public | 26 |
Services rendus aux ménages | 17 |
Commerce | 13 |
BTP | 9 |
Extraction du minerai et métallurgie du nickel | 8 |
Des budgets importants sont engagés
Si globalement l’effort consenti par l’ensemble des ministères bénéficie en premier lieu à la Polynésie française, la Nouvelle Calédonie la talonne de très près, cette dernière est d’ailleurs nettement bénéficiaire de l’affectation des crédits du ministère de l’outre mer et représente tout de même quasi 43% de l’effort budgétaire global consacré aux territoires d’outre mer et à la Nouvelle Calédonie.
– Exemple : AFFECTATION DES CRÉDITS DU MINISTÈRE DE L’OUTRE-MER 17
(Hors crédits non répartis et coút de gestion des services métropolitains)
Collectivité | 2002 | 2003 |
En millions d’euros |
En millions d’euros |
|
Nouvelle-Calédonie | 147,328 | 144,774 |
Polynésie française | 46,782 | 47,422 |
Wallis-Et-Futuna | 8,338 | 9,298 |
T.A.A.F. | 6,932 | 7,591 |
TOTAL | 209,38 | 209,085 |
– Autre exemple : ventilation par territoire de l’effort budgétaire global consacré aux territoires d’outre-mer et à la Nouvelle Calédonie (hors crédits non répartis et coút de gestion des services métropolitains)18
16 Source : rapport 2003 sur la Nouvelle-Calédonie de l’institut d’émission de l’outre-mer (IEOM)
17 Source : http://www.senat.fr/rap/a02-073-8/a02-073-8_mono.html
18 (Source : http://www.senat.fr/rap/a02-073-8/a02-073-8_mono.html )
Collectivité | 2002 | 2003 |
En millions d’euros | En millions d’euros | |
Nouvelle-Calédonie | 776,157 | 776,291 |
Polynésie française | 896,537 | 936,142 |
Wallis-Et-Futuna | 69,358 | 72,053 |
T.A.A.F. | 25,582 | 26,846 |
TOTAL | 1.767,634 | 1.811,332 |
Le coút relatif du secteur public, un exemple : la rémunération des cadres et professions intermédiaires
Si cette économie sous perfusion semble coúter cher à la métropole dans l’absolu, les rémunérations des fonctionnaires calédoniens révèlent un dopage des dépenses publiques, probablement pour palier localement à des niveaux de prix élevés. Il n’empêche que, relativement aux prix du marché français, les rémunérations des cadres et professions intermédiaires sont largement survalorisées et demandent donc un « surfinancement ».
. |
2.1.2 Le nickel, une ressource sous évaluée en Nouvelle-Calédonie ?
La Nouvelle Calédonie est l’un des premiers détenteurs de nickel avec 9% des réserves mondiales, elle représente par ailleurs 8% de la production mondiale. En 1995, la production du Territoire atteignait les 120 000 tonnes dont 70 000 tonnes vouées à l’exportation notamment vers le Japon, l’Australie et les Etats-Unis. Ces exportations atteignaient un montant de 91 millions d’euros. Une fois transformée en produits finis ou semi-finis le reste de la production était exporté pour un montant de plus de 380 millions d’euros. 19
Le nickel est à n’en pas douter la richesse majeure de la Nouvelle Calédonie, les secteurs minier et métallurgique constituent encore aujourd’hui 80% des exportations. La nouvelle Calédonie n’a pas contribué à développer l’activité de transformation puisque l’essentiel du nickel est traité et usiné pour l’essentiel à l’extérieur, contrairement aux pratiques des autres producteurs qui voient dans le traitement du nickel à proximité des zones d’extraction l’occasion de générer de la valeur. On ne compte d’ailleurs en Nouvelle Calédonie qu’une usine de métallurgie, alors que cette branche d’activité serait susceptible de contribuer à la résolution des problèmes structurels de l’île. La zone semble donc largement sous- valorisée, ce qui en soit ne poserait pas de problèmes majeurs à une région disposant d’un panel large de ressources, et ne faisant pas face à des défis socio-économiques d’ampleur.
19 nouvellecaledonie.rfo.fr/article12.html
Le nickel apparaît donc comme la seule ressource capable de permettre à la Nouvelle Calédonie de faire face à ses problématiques de chómage, d’éducation et d’aménagement du territoire.
«Ces quelques éléments montrent que le nickel joue un róle d’inducteur fort du développement économique de la Nouvelle-Calédonie, juste derrière les transferts publics. Sur un plan qualitatif, le nickel favorise la création d’emplois qualifiés dans sa partie métallurgique et l’initiative individuelle dans sa partie minière, où les sociétés externalisent certaines fonctions »20.
Les mêmes analystes appelaient cependant à la vigilance face au risque de précarité et d’extrême dépendance de l’économie calédonienne face aux fluctuations des prix du nickel, mais la Nouvelle Calédonie a-t-elle le choix compte tenu de l’ampleur des travaux à réaliser sur l’île et des difficultés budgétaires de la Métropole ? De plus, l’économie calédonienne se révèle d’ors et déjà hyper spécialisée, le nickel représentant entre 90 et 95% des exportations de marchandises.
2.2 L’affaire de la mine du nord de Koniambo, enjeu géoéconomique majeur
En 1998, l’Etat français achète la paix sociale et contraint Eramet à céder sa pépite : Koniambo.
2.2.1 Les Faits
Les faits tournent principalement autour de l’avenir des accords de Bercy de 1998.
Mais pour les comprendre, il faut revenir un peu plus loin en arrière. Depuis toujours en NouvelleCalédonie, la question du nickel est un enjeu politique majeur entre les différentes communautés qui vivent sur le Territoire
La pression des indépendantistes
A la fin des années 1970, deux grands mouvements politiques structurent la vie politique locale : le Rassemblement pour la République dans la Calédonie (RPCR) de Jacques Lafleur et un front indépendantiste, futur Front national de libération kanak socialiste, (FLNKS) de Jean-Marie Tjibaou. Les tensions entre Kanaks et Caldoches, la radicalisation du mouvement indépendantiste et la répression qui s’ensuit conduisent, le 22 avril 1988, à l’épisode dramatique de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa, suite à une attaque d’une gendarmerie par des militants du FLNKS, et ce, en pleine campagne présidentielle, la France étant alors en fin de cohabitation (François Mitterrand président, Jacques Chirac premier ministre, Charles Pasqua étant ministre de l’intérieur).
Les accords de Matignon, création des trois provinces
Les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988, entre l’Etat, le FLNKS et le RPCR, mettent fin à
cette quasi guerre civile sur l’île, qui entre alors dans un nouveau système de transition sous tutelle
20 http://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-0077.html
française. Trois provinces, du Nord, du Sud, des Iles, sont alors créées. En 1998, 10 ans plus tard, l’accord de Nouméa dote la Nouvelle-Calédonie d’un nouveau statut pour les 20 prochaines années, avec des institutions politiques aux compétences propres.
La concentration au Sud du pouvoir économique, d’une grande partie des terrains miniers et de la seule usine de transformation, a conduit le Nord, à dominante kanak, à réclamer un rééquilibrage. En cas de partition du Territoire, le Nord serait alors largement dépourvu au profit de sa voisine du Sud. Les indépendantistes calédoniens font de cette question un thème majeur de leurs revendications.
Les accords de Bercy
Les Accords de Bercy sont constitués du Protocole d’Accord signé le 1er février 1998 régissant les conditions et le processus d’échange des massifs de Poum et de Koniambo, jusqu’à cette date détenus respectivement par la SMSP (Société Minière du Sud Pacifique) et Eramet, et de son avenant en date du 4 juin 199821.
Ces accords arrachés dans la douleur au groupe industriel français Eramet en 1998 22 prévoient que :
■ « 1/ L’indemnisation d’Eramet/SLN couvre la totalité de la perte de cash-flow et de toutes les
pertes directes ou indirectes qui résulteront pour elles de cet échange ;
■ « 2/ La cession du massif de Koniambo à la SMSP n’interviendra que si la construction de
l’Usine du Nord est décidée formellement et engagée irrévocablement dans des délais raisonnablement courts ;
■ « 3/ La société chargée de la construction et de l’exploitation de l’Usine du Nord sera
durablement détenue et contrólée majoritairement, directement ou indirectement, par des collectivités publiques calédoniennes ;
■ « 4/ Le minerai extrait du massif de Koniambo sera utilisé exclusivement pour un traitement
en Nouvelle-Calédonie ;
■ « 5/ SLN recevra pour l’avenir, de l’Etat et du Territoire, chacun pour ce qui le concerne,
toutes les assurances nécessaires quant à la pérennité des autres éléments de son domaine minier en Nouvelle-Calédonie ».
En synthèse :
L’Etat français impose à l’industriel Eramet de céder la propriété de son très important gisement de Koniambo (nord de l’ile) à une société codétenue par les indépendantistes et le groupe canadien Falconbridge. Cet accord prévoit la date butoir du 31 décembre 2005, date à laquelle devra avoir été constatée l’engagement irrévocable de la co-entreprise (SMSP) de construire une usine de traitement du Nickel. Dans le cas contraire, Eramet était en droit de récupérer le massif de Koniambo Le véritable bailleur de fonds de SMSP qu’est Falconbridge traînera les pieds jusqu’à se faire prier fin 2005, devant l’urgence d’un délai qui expire, par le gouvernement français à prendre position irrévocablement.
Eramet, pour qui les titres de propriété devaient revenir si au 31 décembre 2005 ces engagements des accords de Bercy n’étaient pas tenus, se voit débouté de sa demande par la justice le 28 décembre 2005 par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Falconbridge indique de son coté avoir satisfait les deux conditions des accords de Bercy: une étude de faisabilité technique, et des commandes fermes d’au moins 100 millions de dollars pour des équipements et des services concernant ce projet.23
A ce jour, quelques faits chiffrés concernant cette affaire :
Projet d’investissement dans cette mine du Nord (massif de Koniambo) : • 2,2 milliards de dollars d’investissement
21 Rapport d’information n° 7 (2005-2006) de M. Henri TORRE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 octobre 2005 (disponible sur http://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-00714.html)
22 Rapport de Mr Henri Torre (http://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-00714.html#toc169)
23 Cercle Finance le 30/12/2005
Falconbridge a dépensé :
170 millions de dollars dans les études préliminaires
L’état français a dépensé :
– 630 millions de dollars de base défiscalisable, dont le coút est d’environ 220 millions de dollars pour l’Etat 24
150 millions d’euros au titre de la l’indemnité (soulte) versée à Eramet pour l’échange du massif de Koniambo contre celui de Poum (sud de l’île).
Soit un coût réel acté pour l’Etat Français de 370 millions de dollars.
2.2.2. Gestion de l’événement par les industriels canadiens de Falconbridge
De 1998 à fin décembre 2005, le groupe Falconbridge maintient le suspens sur ses réelles intentions. Falconbridge va travailler à cacher ses intentions réelles jusque là en occupant le terrain sur le plan juridique et sur le plan de l’influence en France.
L’imbroglio juridique
Objet d’une offre amicale d’un autre groupe canadien Inco (lui même objet des convoitise « inamicales » de Teck Cominco), Falconbridge a su habilement jouer la montre et a défendu sa lecture des accords de Bercy en cristallisant le débat sur une lecture juridique subjective des accords, enfermant ainsi l’état français dans son propre piège.25
En effet, un important point de la controverse au sujet de ces accords de 1998 résidait dans l’interprétation de la clause suspensive au centre des débats. Comme le note le rapporteur Henri Torre au Sénat le 5 octobre 2005 « La principale difficulté à ce jour consiste en la levée, ou non, de la clause suspensive des accords de Bercy. Sur ce point, les incertitudes juridiques sont très fortes, et les divergences d’appréciation nombreuses ».
La clause suspensive prévoit ainsi que « l’Entité aura l’obligation de céder les actions de la SAS Koniambo à la SMSP et les actions de la SAS Poum à SLN dès réalisation de la condition suspensive consistant en la justification à l’Entité de commandes fermes d’équipements, matériels et prestations (fournitures, service, maîtrise d’oeuvre, ingénierie … ) destinés à la seule réalisation de l’Usine du Nord à l’exclusion des dépenses engagées au titre des études de préfaisabilité et de faisabilité, pour un montant au moins égal à 100 millions USD, au vu du résultat positif de l’étude de faisabilité technique »
Deux lectures se faisaient face, comme souvent la lettre, et l’esprit de la lettre ; pour simplifier, le respect stricto sensu des dépenses justifiant du respect de cette clause, ou le respect affiché des investissements mettant irrévocablement sur pied la construction de cette usine du nord, objet du débat.
La position défendue par Falconbridge (qui a trouvé in fine soutient de l’état français devant le tribunal administratif qui lui a donné gain de cause) est bien entendu la première :
Une « lecture « stricte », s’arrête à la lettre de l’article 8-1 : la levée de la condition suspensive, et le transfert de propriété, implique de remplir ces deux conditions, à l’exclusion de toute autre, et n’implique que cela. C’est la position en partie défendue par Falconbridge » 26.
La seconde lecture était bien celle de l’esprit du protocole (et a priori celle de l’intérêt de l’Etat français comme des indépendantistes): comment s’assurer que cette usine promise sera bien construite ?
Falconbridge a réussi à enfermer l’état français et Eramet dans les suites judiciaires d’un protocole mal rédigé, où la lecture par défaut a été privilégiée par les juges, ce d’autant plus facilement que la position du gouvernement allait dans ce sens dans ses plaidoiries, l’état étant acculé devant ses propres erreurs et intérêts contradictoires n’avait plus qu’une position tenable selon les politiques d’alors : ne pas compromettre ces accords somme toute très fragiles.
24 Rapport au sénat de Mr Henri Torre (http://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-00726.html#toc288)
25 Les Echos, 21/06/06
26 Rapport de Monsieur Henri Torre au sénat
Une stratégie d’influence
L’objet de cette étude n’est pas d’étudier dans le détail les mécanismes d’influence et de guerre de l’information que se livrent les acteurs sur le sujet. Néanmoins, il faut reconnaître ici plusieurs faits au crédit d’un savoir faire d’influence de Falconbridge et des canadiens dans ce dossier :
■ La direction de la société constituée entre Falconbridge et la SMSP en vue de la construction
de l’usine du nord a été confiée à Brian Kenny, ancien président de Bechtel Canada (qui a Carlyle dans son capital). Un tel acteur, professionnel reconnu certes, mais ni français, ni calédonien, mais bien canadien ne pouvait qu’orienter la gestion du groupe au bénéfice des nord-américains.27
■ En juillet 2005 paraissait le rapport Duthilleul commandité par Francis Mer sur la faisabilité
du projet de l’usine du nord. Ses conclusions faisaient état d’un manque de ressources chez le canadien
Extrait du rapport de l’audition, en réponse à une question de Gérard Longuet:
« Mme Anne Duthilleul a précisé que Koniambo représentait entre 5 % et 10 % du chiffre d’affaires de Falconbridge, selon les cours du nickel, mais que deux éléments devaient être pris en considération :
– d’une part, la production prévue pour l’usine, de 60.000 tonnes de nickel, augmenterait de 50 % la production de Falconbridge ;
– d’autre part, le coút de l’investissement, compris entre 2 et 2,5 milliards de dollars, représentait un risque important pour la société. Elle bénéficiait cependant actuellement des cours élevés du nickel, ce qui lui permettait de financer ses investissements sans recours au marché. »28
On perçoit bien en revanche dans la première sentence l’importance stratégique de cette mine pour l’augmentation (50% !) de la capacité de production du groupe Falconbridge.
Or, alors même que paraissait ce rapport, hasard du calendrier, Francis Mer revenu à la vie civile après son passage à Bercy, entrait au conseil d’administration du groupe INCO, celui là même qui lancera son offre amicale sur Falconbridge quelques jours avant l’expiration du délai du 31 décembre 2005 (accords de Bercy de 1998).29
L’intégration d’une personnalité comme Francis Mer au sein du conseil d’administration du possible actionnaire de Falconbridge, le « partenaire » pour l’Etat français sur ce dossier ne peut laisser personne insensible…
Notons que si cette OPA « amicale » se concrétise, INCO déjà très présent sur le site de Goro en Nouvelle-Calédonie (sud de l’île) deviendra un acteur majeur de cette île, à comparer avec le quasi monopole d’Eramet il y a quelques années…
Gagner du temps
Entre 1998 et aujourd’hui, 8 années ont passé, et cette usine n’a toujours pas vu le jour.
Certes, Falconbridge a investi lourdement dans des études et commencé des travaux périphériques (routes, etc..), mais le groupe canadien n’a encore jamais annoncé en conseil d’administration (c’est bien ce que lui reproche Eramet) la moindre décision concernant la construction de cette fameuse usine.
En fait, en 1998, Il était question à l’origine d’un projet d’un milliard de dollars d’investissement. Rapidement, leurs études les ont conduits à revoir à 2.2 milliards de dollars la facture, et en février 2005, ils prévoyaient 2.7 milliards d’investissements … Une facture qui triplait sur la décennie (ce qu’avait en revanche assez bien anticipé Eramet).
Falconbridge, comprenant que ces investissements attendus n’étaient pas rentables s’employa à
gagner du temps. Son actionnaire principal, le groupe Noranda (détenu par le groupe financier
27 Infoguerre.com 20 /03 /06
28 Commission des Fiances du Sénat (7juin 2006) http://www.senat.fr/bulletin/20060605/fin.html#toc2
29 Infoguerre.com 20 /03 /06
Brascan) décide pour un recentrage stratégique début 2004 de sortir de cette activité minière. Après avoir vainement négocié avec les chinois de Minmetals, l’actionnaire décide la fusion de Noranda avec Falconbridge (pour créer Falconbridge Limited) et se refinance en plaçant la moitié de sa participation en obligations auprès des banques, et en cédant le solde au groupe minier Xstrata (qui veut aujourd’hui bien entendu aller plus loin que sa participation minoritaire).
Comme le note le rapporteur Henri Torre au Sénat en 2005, « des mouvements de capitaux importants, impliquant de nombreux acteurs des marchés financiers, ont été enregistrés sur le capital du groupe canadien. Il n’est pas possible, à l’heure actuelle de déterminer l’impact de ces mouvements sur le projet de Koniambo, mais ce sont manifestement autant d’éléments qui jettent le trouble sur une négociation en cours particulièrement difficile »30.
Dans cette période de recomposition de l’échiquier des acteurs du Nickel bousculé par toutes les OPA en cours, l’intérêt de Falconbridge comme de ses actionnaires au « pourrissement de la situation » est manifeste et triple, et se reflète dans ses actes et discours au sujet de Koniambo :
– ne jamais promettre le caractère absolu de la construction de l’usine (et donc des investissements très lourds à engager)
– valoriser cet accès prioritaire à Koniambo comme réserve et ressource minière de très belle qualité (valorise l’actif potentiel du groupe tant vis à vis de ses prédateurs que de ses banquiers pour des acquisitions, une valeur d’actif potentiel très importante)
– mettre la pression sur l’Etat français, pris dans ses promesses et ses contradictions d’achat de la paix sociale pour obtenir toujours plus d’aide et de subventions, et si possible le pousser progressivement à revoir les termes de l’accord31.
2.2.3 Gestion de l’événement par Eramet, l’industriel frangais
Un choix imposé
En 1998, le gouvernement Jupé, représentant l’Etat (actionnaire alors majoritaire avec près de 60% du capital), impose à Eramet (et aux actionnaires minoritaires, les 40% restant, en bourse) de céder le site de Koniambo dans un but de paix sociale affichée.
Les premières négociations ne prévoient aucune contrepartie pour Eramet ! c’est une spoliation pur et simple de l’actif de cet industriel et de ses actionnaires minoritaires qui est envisagée ; la réaction des fonds présents au capital, notamment américains, sera violente.
Après d’âpres négociations, Eramet obtient une soulte censée compenser la perte de cash flow (1 milliard de francs) et le transfert du site de Koniambo contre un autre site, celui de Poum, site nettement moins riche.
Une stratégie conservatrice de l’industriel français et un manque d’anticipation
Eramet avant ces accords n’avait jamais voulu s’engager sur la construction d’une Usine (à l’inverse d’aujourd’hui, selon l’engagement pris par son président si Koniambo lui revenait). En effet, possédant déjà une large Usine de traitement du Nickel en Nouvelle-Calédonie, Eramet n’a jamais vu aucun intérêt à construire une Usine dans le nord de l’île, qui représentait à ses yeux des investissement impossibles à rentabiliser (construction d’un nouveau port, d’une centrale, etc.) alors que la seule logique économique de bon sens commandait d’extraire et d’acheminer ce minerai vers l’usine existante32.
La stratégie d’Eramet avait toujours été jusque là d’accompagner la croissance du marché du Nickel (marché cyclique) plutót que de sa battre dans une logique de parts de marché33. La construction de cette usine du nord répond clairement à une logique politique, car elle n’obéit aux yeux d’Eramet à aucune rationalité économique.
30 Rapport au sénat de Mr Henri Torre (http://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-00723.html#toc244)
31 idem
32 Interview du 23 juin 2006 de Mr Philippe Joly, responsable relations investisseurs Eramet
33 idem
Lorsqu’en 1998, il fallu signer ces accords, Eramet qui avait toujours refusé le principe d’une construction d’usine dans le nord de l’île (et qui continue à croire que c’est une mauvaise idée) ne pouvait ni contredire le gouvernement dans un rapport de force inégal, ni contredire sa propre stratégie et sa communication menée jusque là.
Un des problèmes majeurs qui remonte donc à 1998 concernant la gestion de ce dossier, c’est qu’en amont de la crise calédonienne, Eramet n’avait pas anticipé suffisamment le poids stratégique de ces réserves de Koniambo sur l’échiquier mondial et a contrario le pouvoir de nuisance offert aux concurrents s’ils venaient à s’en emparer. Et pourtant, les cadres d’Eramet savent bien qu’à la différence de la sidérurgie, ce qui prime dans leur métier, c’est d’abord les réserves et non les usines, que quiconque avec de l’argent peut bâtir34.
La position du fort au faible
Un dernier point concernant l’échec d’Eramet dans ce dossier, son comportement de « fort » au faible jusque là très marqué.
Eramet fait totalement partie du paysage de la Nouvelle-Calédonie, mais dans la même position qu’un béké en Martinique. Du point de vue de l’image, jusqu’en 1998 en tout cas, Eramet apparaissait aux yeux des indépendantistes comme le bras armé héritier des traditions colonialistes françaises. Rappelons que l’image des groupes miniers fút longtemps associée localement au pouvoir économique et politique des « grandes familles » industrielles caldoches.
Dans cette position du fort, Eramet avait tenu un discours rationnel économiquement concernant la mine du Nord (son impossible rentabilité intrinsèque) mais sans la finesse diplomatique qu’il aurait dú s’imposer, en méditant certaines leçons de l’histoire: les « colons » sont souvent chassés par la porte, et celle-ci claque violemment, au moment où ils ne s’y attendent pas. Dans le cas de la négociation sur le massif de Koniambo, Eramet, jusque là installé dans une position de leader incontesté, arguait d’attitudes semblables au propriétaire d’un bail emphytéotique ; « chasse gardée ». Précisément, le terrain était en train de leur échapper. L’absence de contacts sérieux avec des chefs indépendantistes Kanaks et le caractère ferme et définitif avec lequel (sur un ton perçu comme hautain) Eramet refusait catégoriquement une usine dans le nord a ruiné toute sa capacité ou crédibilité à revenir dans le jeu lorsque pour des raisons politiques la discussion de ce site devenait incontournable pour la paix sociale en 1998.
En somme, ERAMET s’est certes vu imposé un choix politique, mais le champion français s’est surtout vu sortir du jeu lorsque celui-ci s’est accéléré sous la contrainte des évènements. Sa posture affirmée du fort sur un échiquier qu’il pensait maîtriser a manifestement induit une incapacité à l’anticipation qui lui coúte cher, très cher : cela fait huit ans qu’ERAMET cherche par tous les moyens à revenir dans la course … sans succès.
2.2.4 Gestion de l’événement par les indépendantistes
Depuis des décennies, le sujet d’une usine dans le nord de la Nouvelle-Calédonie est régulièrement relancé. Il participe à une vision de développement économique revendiquée par les indépendantistes, partagée à son époque par le Général de Gaulle.
Ce projet d’usine et de développement du nord de l’île touche à plusieurs intérêts indépendantistes.
Le thème de « la richesse volée »
Les indépendantistes on obtenu d’inscrire dans le préambule des accords de Matignon que « le Clan, élément organique de la société Kanak, est le détenteur traditionnel de la terre selon les règles coutumières dans le respect des intérêts de la collectivité nationale ». A partir, de là, la conduite d’une politique indépendantiste menée par le FLNKS, socialiste, consistera à revendiquer les moyens de productions et le contróle des ressources naturelles. C’est ainsi qu’ils adapteront une posture idéologique figée dans le cas du dossier de Koniambo, en refusant de laisser la majorité aux
34 idem
industriels (ils contrólent 51% via la SMSP), ce qui en soit est inédit et inextricable pour l’industriel partenaire.
Le thème de la « richesse volée » qui consiste à considérer que la richesse qu’est le nickel ne profiterait qu’imparfaitement aux Calédoniens est « extrêmement présent et a particulièrement frappé le rapporteur spécial lors de son déplacement35.
a L’enjeu de la localisation de la valeur ajoutée issue de l’exploitation du nickel est en effet ressenti comme central et se retrouve dans les discours de la classe politique, toutes tendances confondues, comme chez l’homme de la rue :
a – Sur un mode mineur : la société Le Nickel-SLN est accusée, non sans excès, de vivre aux dépens du territoire et de lui « voler », en quelque sorte, sa principale ressource naturelle.
a – Sur un mode majeur : la construction d’une usine de traitement du nickel dans la province Nord apparaît comme l’élément moteur d’un développement économique qui n’a pas encore pris forme. »36
L’opportunisme indépendantiste
Les indépendantistes se définissent eux-mêmes comme les résistants aux velléités colonialistes des « métropolitains » français et de leurs ingérences commerciales.
Parmi eux, le maillon central, autour duquel se cristallisent plusieurs mouvances, et interlocuteur quasi unique de l’état coté kanak est le FLNKS. Ce parti revendique dans son corpus « qu’il demeure l’outil de lutte au service de l’Indépendance Kanak et Socialiste ».37
La stratégie des indépendantistes concernant cette affaire de Koniambo est loin d’être absente de tout opportunisme. C’est en effet une occasion importante pour eux de :
■ développer une crédibilité générale (économique, internationale, électorale)
■ bouter un peu plus les « métros » et leurs représentants hors d’un dossier stratégique
■ accentuer la logique d’indépendance
Gestion d’intérêts économiques majeurs, crédibilité électorale, concurrence des chefs de clans sur la mainmise du discours indépendantiste, gestion du déséquilibre démographique entre le nord et le sud (et notamment Nouméa)
Le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste) avait posé en préalable à toute discussion sur l’avenir de l’archipel l’accès à la ressource nickel pour la construction, par SMSPFalconbridge, d’une usine métallurgique dans le nord.
Cette usine constitue le point d’ancrage du développement de la province nord, majoritairement kanak, le sud, où se trouve Nouméa, concentrant les trois quarts de la population et de l’activité.
« Le nickel est le nerf de la guerre d’un véritable rééquilibrage », pour André Dang, Pdg de la SMSP.38
Les kanaks sont entrés dans l’industrie nickel dans le sillage des accords Matignon, avec la vente, par le député Jacques Lafleur en 1989, de la SMSP à la province nord. Le dossier Koniambo constitue l’occasion pour les responsables kanaks de participer très directement à un projet industriel d’envergure: les investissements nécessaires s’élèveraient à plusieurs centaines de millions d’euros, avec des milliers d’emplois à la clé. La construction d’une usine dans le nord est soutenue par tous les élus locaux, qui veulent freiner l’exode sur Nouméa et contenir le déséquilibre démographique patent entre les vallées du nord de l’île et ses cótes occidentales et méridionales.39
Ce souci démographique n’empêche pas d’imaginer des préoccupations électoralistes ; le poids et l’influence des clans et tribus et a fortiori de leurs chefs n’étant pas le même entre Nouméa et les villages des montagnes reculées du nord de l’île.
35 Henri Torre (rapport au sénat)
36 Citations de Roland du Luart (cité dans le rapport susmentionné)
37 Motion du XX congrès du FLNKS, 03/2000 (http://www.kanaky.org/lekanak/flnks/motion.htm)
38 NOUMÉA (AFP) – 27/12/2005
39 NOUMÉA (AFP) – 27/12/2005
Ce dossier confère en outre aux négociateurs et interlocuteurs indépendantistes présents au conseil d’administration de la SMSP (partenaire de Falconbridge) l’opportunité unique de revendiquer une crédibilité et un tissu de relations d’affaires internationales via les canadiens, et ainsi une ouverture au monde anglo-saxon.
L’occasion trop belle de bouter les « métros », et notamment un groupe à l’histoire ancienne.
« Le FLNKS fera du renoncement d’Eramet une condition sine qua non de l’avancée des négociations et par ricochet de la paix sociale ». Le rapporteur du sénat note même ainsi à leur endroit que « le FLNKS demande, mi-1996 que l’unique opérateur métallurgique de l’île à ce jour, la SLN, renonce à certains de ses gisements pour qu’ils servent à alimenter la future usine du Nord, et érige cette revendication en préalable à la poursuite des négociations sur le devenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. »40
Il n’est qu’à lire les forums kanaks pour comprendre le souhait partagé d’infliger une leçon à Eramet.41
On y apprend d’ailleurs que Monsieur le président du Congrès, Harold Martin, a demandé au président d’Eramet « dans l’intérêt supérieur de l’usine du Nord, indispensable au rééquilibrage de la Nouvelle-Calédonie, de renoncer » à son action en justice visant à placer les actions de la société Koniambo sous séquestre42, c’est à dire de renoncer à demander justice…La collusion des intérêts indépendantistes et des intérêts canadiens, avec des objectifs pourtant bien différents, est patente.
Une remise en question des élites kanaks qui ont négocié l’accord de Bercy au vu du scandale de Koniambo (aucune usine 8 ans plus tard) paraît politiquement improbable, tant le risque de mécontenter sa base est grand, particulièrement lorsque le discours de la paix social semble sacramentellement institué par l’accord de Bercy, qui devient au fil de l’eau un quasi avenant économique aux accords de Matignon.
Une logique de construction de l’indépendance
« L’enjeu est au moins aussi politique qu’économique puisque le projet de Koniambo est destiné à donner les moyens d’une indépendance économique à la province Nord de l’île, la plus pauvre, présidée par l’indépendantiste Paul Néaoutyine ».43
Pour le Front national de libération kanak socialiste (FLNKS), l’usine de Koniambo peut constituer une preuve que l’indépendance est, à terme, possible. A l’inverse des partisans du statu quo institutionnel, pour qui le développement économique apporterait, au contraire, la preuve que l’indépendance n’est pas nécessaire.44
Vu du coté Kanak, selon les accords de Bercy, Koniambo doit revenir à Falconbridge, c’est-à-dire aujourd’hui à INCO, autre canadien, en cas de succès de l’OPA en cours, et surtout mécaniquement à sa partenaire, la Société Minière du Sud Pacifique pour permettre aux Kanak de maîtriser leurs ressources naturelles comme ils l’exigent depuis les premières luttes pour l’indépendance du territoire.
C’est une opportunité unique d’ici le terme prévu des accords de Nouméa, avril 2018, qui prévoient une consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie sur l’avenir politique de l’île et particulièrement une possible indépendance de prouver tant leur détermination que leur capacité à assumer un développement économique sans les « Métros ».
« Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences
régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la
40 Rapport au sénat de Mr Henri Torre
41 http://www.yahoue.com/forums/
42 LES NOUVELLES CALEDONIENNES (www.lnc.nc) du 13/12/2005
43 Libération : lundi 28 novembre 2005
44 Libération : lundi 28 novembre 2005
citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées. Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. »45
N.B : Il est intéressant de rappeler à ce stade la vision économique des indépendantistes du FLNKS que l’on retrouve noir sur blanc dans le projet de constitution, formalisé en 1987 (soit un an avant Ouvéa) 46
3. Une stratégie de puissance, supérieure aux intérêts privés, doit-elle
voir le jour sur ce type de sujet ?
3.1. Le nickel a t-il été identifié comme stratégique au Canada VS France
3.1.1. Stratégie de puissance du Canada, nickel identifié comme stratégique ?
La production canadienne de nickel s’élève aujourd’hui à 186 500 tonnes. Elle a crú de 22 000 tonnes par rapport à 2004, soit quasiment 12%. En 2004, le nickel canadien provenait de 9 mines gérées par Inco, de 6 mines exploitées par Falcon bridge Limited, d’une mine gérée par la Sudbury Joint Venture et de l’exploitation de North American Palladium Limited 47. Au vu des investissements réalisés dans le secteur, il semble que le nickel ait bien été identifié comme stratégique. Peuvent être cités au rang des faits récents marquants en matière d’investissement et de prospective :
– Ouverture de la mine Montcalm par Falconbridge pour un coút de 77 millions d’USD – Exploration près du lac Raglan, dans les régions de Sudburry, Timmins et Thompson.
– Projet d’optimisation de la mine Raglan visant à augmenter sa production de 5000 tonnes par an à partir de 2007.
– Programme de délimitation des réserves du gisement Nickel Rim South. Il permettra d’extraire 11000 tonnes de nickel par an d’ici à 2010. Le coút estimé avoisine les 370 millions d’USD.
– Le chinois Minmetal n’a pu acquérir Noranda qui aurait pu lui permettre à la Chine d’assurer son approvisionnement en métaux, ressources éminemment importantes pour les pays en développement. – Peu de temps après, Noranda, plus grande compagnie minière canadienne a fait passer sa participation dans Falconbridge à 91% (contre 59% en 2000).
– Construction d’une usine hydro- métallurgique à Argentia, la moitié des travaux de construction étaient achevés en avril 2005.
– Projet d’aménagement de la mine et construction de l’usine de concentration Voisey’s Bay. Les travaux étaient achevés à plus de 80% en avril 2005.
– La production de nickel affiné par Inco a atteint récemment des niveaux historiques avec 61000 tonnes à Sudbury et 53000 tonnes à Thompson. D’ici à 2009, il est prévu une augmentation substantielle de la production à Sudbury et à Voisey’s bay.
– Canadian Arrow Mines, Limited a obtenu les accréditations pour la construction d’une mine dans la propriété Alexo.
Si ces investissements lourds révèlent le niveau de mobilisation des institutionnels canadiens sur la question du nickel, il nous indique également le caractère anticipatif de leurs actions, les montées en puissance en matière de production se synchronisent toutes à l’horizon 2010.
Les efforts massifs, conjoints et synchrones des acteurs de la branche, nous permettent de confirmer la haute considération du nickel dans la stratégie globale canadienne.
3.2 Les contradictions de la position française dans cette affaire
Depuis Ouvéa, l’Etat était pris dans un étau en Nouvelle-Calédonie : la paix sociale au profit des intérêts indépendantistes ou le chaos ; une marge de négociation relativement faible.
45 Préambule des accords de Nouméa
46 (voir en annexe B 2.2.4 le projet de constitution de Kanaky)
47 http://www.nrcan.gc.ca
En 1998, les représentants de la France obligent Eramet à accepter l’inacceptable. L’état va négocier avec des indépendantistes en position de force
3.2.1 Contradictions économiques
Une première contradiction économique d’importance surgit dans les demandes des indépendantistes, figés dans leurs idéologies : le contróle de la majorité du projet de Koniambo (via la SMSP).
L’état français présent à 60% du capital d’Eramet en 1998 ne pouvait ignorer les analyses des stratèges d’Eramet (sa participation) : le projet n’est pas rentable économiquement. Comment pouvait-il penser qu’un autre industriel n’en ferait pas un jour l’analyse, a fortiori pour les sommes en jeu et surtout si le contróle capitalistique du projet ne lui échoit pas. Cette incongruité capitalistique aurait dú alertée : aucun industriel n’investit autant d’argent dans un contexte troublé sans de surcroît contróler l’éventuel retour aux bénéfices.
Enfermé dans leur souhait d’apaisement immédiat, l’Etat et Bercy n’ont manifestement accordé aucun intérêt à l’une des règles fondamentales du capitalisme et de la logique d’actionnaire, le contróle de la majorité.
On peut reprocher le manque de lucidité et d’expérience aux indépendantistes, mais ils étaient dans leurs róles, l’Etat un peu moins.
En outre, l’Etat français a trop vite concédé un róle de chevalier blanc au canadien Falconbridge, qui arrivait avec ses promesses, trop rarement tenues. La précipitation avec laquelle les accords de Bercy ont été conclus cadre mal avec l’importance des enjeux pour la France comme pour la NouvelleCalédonie. Les faits sont là, aucune usine n’a encore vu le jour. Que huit années plus tard on retrouve ces accords à la barre du tribunal pour savoir si Falconbridge a respecté ou non ses engagements alors que tous font le constat d’une carence à Koniambo témoigne d’une mauvaise rédaction, d’un consensus trop mal défini à l’époque.
L’indemnité perçue par Eramet et concédée non sans mal par l’Etat à l’industriel tricolore met en exergue le difficile exercice de compenser une logique de cash flow par l’abandon des ressources. Au delà des calculs, le chiffre du milliard de francs retenu à l’époque laisse fortement songer à un chiffre symbolique plus qu’autre chose. Quelques années plus tard, alors que le prix du nickel est au sommet, ce chiffre montre toutes les limites d’une compensation à un instant T d’une ressource naturelle rare et le coút énorme induit parce manque de vision stratégique.
Falconbridge l’emporte au tribunal en arguant des détails allant dans le sens de ces engagements, sans pour autant s’engager encore irrévocablement à construire cette usine. Force est de reconnaître du talent à ses juristes et à ses avocats, a contrario de la naïveté française dans ce dossier.
Comment a t-on pu ne pas prendre plus de garanties financières à l’encontre de Falconbridge et sécuriser réellement cet accord ? Un manque de pédagogie (et de professionnalisme ?) évident également à destination des kanaks qui sortent les premiers marris de cette farce politique.
3.2.2. Contradictions politiques
Deux lectures pourraient être opposées dans la gestion de cette affaire concernant l’Etat français.
La première qui s’arrêterait aux accords de Bercy montrerait comment l’Etat arbitre savamment des acteurs afin de sortir d’une crise par le haut en sortant du chapeau un oncle d’Amérique (du Canada en fait) qui veut bien jouer le róle du banquier. La paix sociale est relancée, les opposants calmés, seul un groupe français est lésé, mais, après tout, la paix ne fait pas que des vainqueurs, les enjeux sont sociaux et politiques, « des intérêts supérieurs sont en jeu » pourrait-on entendre, oui mais lesquels ?
Car une seconde lecture est nécessairement moins clémente avec l’Etat français :
En sacrifiant une de ces participations, l’Etat sacrifiait de la valeur économique stratégique (ressources et réserves de Koniambo) qui impacte nécessairement son avenir et sa valeur boursière à terme. En 1998, l’Etat comme Eramet n’ont pas vu la collusion d’intérêts possible entre les indépendantistes et les canadiens, concurrents des français sur le plan économique comme sur
l’échiquier géopolitique, la position du fort trop longtemps vécue coté français les a conduit à une mauvaise négociation. Malgré les signaux (pas tous faibles) envoyés depuis quelques années (nourris des inquiétudes des acteurs) par les rapports Duthilleul et Torre à l’administration et aux politiques, l’Etat a préféré une posture de l’autruche en confirmant Falconbridge (l’avocat de l’Etat a plaidé favorablement pour Falconbridge fin 2005 au tribunal) dans son róle de chevalier blanc d’une paix sociale et d’un miracle économique attendu au nord de la Nouvelle-Calédonie. La paix sociale a donc un prix, un grand prix puisque jamais il n’a été mis en perspective l’importance stratégique de ces réserves dans une logique d’indépendance – globale de la France quant à ses ressources naturelles.
L’Etat français a solutionné un problème de court terme qui est de l’ordre du politique en mettant en jeu celui (plus long terme) de son indépendance économique sur un sous jacent, le Nickel, objet d’une guerre économique internationale, comme le montre la valse des OPA en cours et l’appréciation effrénée de ce minerai sur les bourses mondiales.
3.2.3. L’absence de stratégie de puissance, la logique perdant-perdant
La France n’a pas joué une partition de stratégie de puissance, en ne venant pas en support de son champion industriel, avec lequel elle devait nécessairement bâtir une collusion d’intérêts objectifs convergents. Le prix politique à cela est sans doute élevé, mais rien n’indique à posteriori qu’aucune autre carte n’était jouable. Eramet aurait très bien pu, de la même manière que le groupe s’est vu retiré la mine de Koniambo, se laisser finalement « convaincre » par son actionnaire majoritaire de changer d’option quant à la construction de cette usine (ce qu’accepte Eramet d’ailleurs désormais). La solution du gagnant-gagnant sur le dos de l’industriel sacrifié pour la bonne cause signée en apparence à l’époque ressort plus justement aujourd’hui sur le mode du triple perdant :
– Eramet a perdu cette mine
– Les kanaks n’ont toujours pas d’usine (et les milliers d’emplois attendus)
– L’Etat français s’est dessaisi dans l’urgence du contróle d’une de ses plus belles réserves de Nickel
Seuls, dans ce dossier, les canadiens de Falconbridge, ou bientót les canadiens d’INCO, ou encore bientót les américano-canadiens de Phelps Dodge Inco sont en position de force.
Confirmés par la justice française et la plaidoirie « immobiliste » de l’Etat français, ils espèrent obtenir toujours plus de subventions et, en attendant de construire ou non cette usine, maximisent ces réserves dans leurs valeurs boursières, armes fatales dans un univers d’OPA agressives.
Lorsqu’on doit échanger du papier, autant que le sien coúte plus cher…
3.3. Etat des lieux du débat en France
3.3.1. Le Nickel, vecteur illusoire de paix sociale et de développement ?
La position des institutions françaises dans le dossier calédonien est révélatrice de leur incapacité à percevoir et analyser les manœuvres qui sortent du champ de l’économie de marché traditionnelle. En effet, les stratégies de recherche de position dominante dans le contróle des groupes industriels stratégiques sont en train de supplanter les stratégies concurrentielles classiques.
La valse d’OPA qui agite le monde minier et la nationalité des groupes qui en sont à l’origine devraient pourtant éveiller la conscience de nos stratèges nationaux.
Or, les politiques français n’ont peut-être lu dans le dossier calédonien qu’une opportunité pour ramener la paix sociale en Nouvelle-Calédonie, attitude tout à fait respectable certes, et un moyen de mettre en place une nouvelle politique d’aménagement du territoire.
Le nickel : un garant de la paix sociale ?
Le montage financier entre la SMSP, qui bénéficie de la bienveillance des populations canaques, la SOFINOR et Falconbridge, est perçu comme l’unique moyen de garantir la participation des populations du Nord de la Nouvelle-Calédonie aux bénéfices liés à l’exploitation du nickel.
Mais peut on imaginer un instant que ces objectifs sont partagés par un groupe industriel étranger, placé au coeur d’une valse d’OPA liées à une nouvelle répartition des cartes radicale dans un secteur économique qui cristallise les intérêts de nombreuses puissances étrangères ?
Le nickel : un vecteur de l’aménagement du territoire ?
L’exploitation des gisements du Nord devait permettre de limiter l’exode rural qui surcharge la banlieue de Nouméa.
Or, la construction financière du dossier assure la collaboration des autorités et des populations locales, sans lesquelles un tel projet semble ne pouvoir être mis en place dans cette région.
Le fait qu’une entreprise étrangère bénéficie des grâces de la plupart des acteurs de la société civile devrait éveiller l’attention du monde politique. La solution de facilité que semble représenter l’attribution d’un tel marché à celle-ci contre les intérêts d’un groupe national doit faire émerger des interrogations sur l’éventualité d’une opération d’influence.
Aujourd’hui, ce certain autisme du pouvoir politique dans le dossier calédonien place un grand groupe national dans une position de faiblesse vis à vis de ses concurrents anglo-saxons.
3.3.2 Un consensus sur la négation de la dimension stratégique
Le décret 48 du ministère de l’économie et des finances visant à protéger certaines entreprises stratégiques françaises de toute prise de contróle par des étrangers n’évoque que onze secteurs d’activité: casinos, sécurité privée, recherche et production d’agents pathogènes et armes chimiques, matériel pour l’interception de correspondance et la détection à distance des conversations, technologies de l’information (sécurité) nécessaires à la lutte contre le terrorisme et la criminalité, à la défense ou à double usage, cryptologie, activités liées aux marchés classés secret-défense, recherche et production d’armes, munitions et substances explosives, étude et équipement au profit du ministère de la défense.
Le secteur minier exclu des secteurs stratégiques
En outre, les opérations de rachat de petites entreprises dans le domaine de l’innovation, même si elles se multiplient de manière inquiétante, ont même été considérées par le ministère de la défense comme du ressort des lois de l’économie de marché traditionnelle. En effet, en juin 2005, une étude de ce ministère concluait que ces acquisitions semblaient être guidées avant tout par des considérations d’ordre économique.
Enfin, la vision d’économistes réputés, tel Elie Cohen, directeur de recherches au CNRS, n’est pas de nature à éveiller l’attention des élites françaises sur la nature stratégique d’industries minières comme celle du nickel. Ce membre du Conseil d’analyse économique n’a pas hésité à dire que « si le nickel est stratégique, tout est stratégique »49. C’est d’ailleurs la même personne, dont l’un des mandats est d’adresser des recommandations au ministre de l’économie, qui a qualifié de « pipeau absolu »50 le plan du premier ministre relatif à la protection des secteurs stratégiques.
A la lumière de cette description, il est aisé de comprendre le peu d’intérêt des autorités françaises quant à la dimension stratégique de l’industrie du nickel.
Cependant, peut-on continuer à faire l’impasse sur des priorités claires dans les domaines assurément stratégiques ?
En Russie, il semble que « la nouvelle loi sur l’exploitation des ressources naturelles concoctée pendant de longs mois par le ministre responsable Yuri Trutnev mais revue et corrigée maintes fois par les comités ad hoc de la Duma, du Conseil de la Fédération ou l’administration présidentielle pourrait faire surface prochainement si l’on en croit les confidences de Trutnev .(…) Ses plus
48 Décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier
49 Cit. www.Infoguerre.com le 2/09/05 « L’irresponsabilité d’Elie Cohen »
50 Le Monde 2 septembre 2005
récentes dispositions seraient encore plus contraignantes concernant l’établissement de la liste des gisements dits « stratégiques » et pour lesquels les sociétés à qui l’Etat accordera des permis d’exploration et de mise en exploitation devront être à capitaux russes à hauteur de 50,5 %.. » (…) et surtout « la nature des gisements serait élargie au nickel, au cuivre et peut être à l’or » 51.
Contrairement à l’avis de M. Elie Cohen, qui affirme encore qu’ «on sait que le problème des nations n’est pas la compétitivité, c’est-à-dire faire mieux que le pays voisin, gagner des parts de marché. Le véritable enjeu est la productivité ou la capacité d’un pays à produire mieux et moins cher en utilisant son capital humain, son capital physique et en mobilisant les ressources technologiques et scientifiques»52, c’est en se plaçant dans une perspective fondée sur la puissance et non sur les règles de l’économie de marché que l’on préservera nos intérêts, ceux de la France, des ses entreprises, de ses emplois.
51 Source: http://www.russia-intelligence.fr (joint en annexe)
52 CNRS Thema N°2 « La guerre économique n’aura pas lieu »