Une stratégie française et européenne qui manquent de lisibilité? Tels sont les questionnements de la présente étude
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Juillet-Août 2006
Une étude réalisée
par Virginie Allaire,
Laurence Balmayer,
Hervé Basset,
François Desfournaux,
Silvio Lo Niglio,
et José Nangis,
auditeurs de la promotion 2005-2006 du certificat professionnel “Management stratégique et intelligence économique” de licole de guerre économique (EGE).
OPA DE MITTAL SUR ARCELOR
La sidérurgie européenne dans le chaudron
de la globalisation financière
DOSSIIER
limités dans leurs approvisionnements, peinent à servir leurs propres marchés. Ils produisent et vendent en allouant au mieux. C’est toute la chaîne de valeur qui se trouve sous tension.
● Les perspectives
Compte tenu des prévisions d’une croissance de l’économie chinoise et de la reprise économique synchronisée des autres grandes régions du monde, hors Europe, rien ne laisse supposer que la tension actuelle sur le marché mondial des matières premières puisse s’inverser. En revanche, cette situation devrait entraîner une relance de l’investissement en capacités dans les secteurs miniers et du transport maritime, qui, à son tour, devrait favoriser un rééquilibrage entre l’offre et la demande mondiale d’acier. Le marché européen sera dès lors le premier à bénéficier de la présence d’entreprises sidérurgiques d’envergure mondiale mais aux racines européennes.
La sidérurgie va donc vivre dans le proche avenir à l’heure des concentrations. Là encore, la Chine avec son énorme appétit en biens de consommation, jouera un grand rôle. D’ores et déjà, chaque année, ses 900 entreprises séparées fournissent l’équivalent de la production mondiale de Mittal Steel!
Selon les experts, l’évolution de la sidérurgie devrait être marquée par la constitution de deux ou trois grands acteurs disposant, chacun, de capacités de production avoisinant les 100 millions de tonnes. À leur suite, prendraient place des entités dont la capacité s’étalerait entre 40 et 60 millions de tonnes. Dans cette projection, les neuf premiers se partageraient les deux tiers de la production, alors qu’aujourd’hui les 10 premiers en concentrent seulement 27%.
1.2 Repères chronologiques
Mittal lance OPA
contre Arcelor
Création association
des actionnaires
d’Arcelor
Revalorisation
du prix d’achat
par Mittal
Rapprochement
Arcelor/Severstal
Mittal devant
le Sénat Belge
Arcelor accepte
l’accord de Mittal
27/01
01/03
19/05
26/05
15/06
25/06
1.3 Les forces en présence
● Physionomie de l’actionnariat de Mittal
L’actionnariat de Mittal Steel reste verrouillé et la famille Mittal détient la majorité des parts.
Famille Mittal (env. 74 %)
Owns
Owns Owns
Invest. flot. (env 20 %) Banques (env. 9%)
Il faut cependant souligner l’opacité de l’actionnariat de la famille Mittal, puisque 74% de MittalSteelCompanysont détenus par des fonds (Richmond InvestmentsHoldingset LNMGlobal ) basés dans des paradis fiscaux1. Autrement dit, on peut s’interroger sur les intérêts qui se cachent réellement derrière cette concentration actionnariale. Leur participation dans Mittal Steel reculera à 51 % lorsque le rachat aura été effectif. Mais elle restera majoritaire, donc décisive.
Les actions disponibles sur les marchés boursiers (le flottant) sont possédées
par des fonds d’investissements et des institutions. On peut considérer que,
pour ces raisons, Arcelorn’aurait pas pu exercer une OPA hostile sur Mittal.
● Physionomie de l’actionnariat d’Arcelor
L’actionnariat d’Arcelorn’ est pas verrouillé : 85% des titres sont en libre circulation en bourse. Lùat luxembourgeois, ne détenant que 5,6% des titres, c’est l’homme d’affaires franco -polonais Romain Zaleski, détenteur de 7,5% des parts via Carlo Tassara International (CTI) qui pèse le plus dans l’environnement actionnarial d’Arcelor.
ARCELOR
2.5 % Association Colette Neuville
3,55 %
Corporacion
jmac
bv. Aristrain
0,94%
salariés
2,4%
Région wallone
7,5 % CTI-
Roman Zaleski
2% Generali
5,6 % Grand Duché
du Luxembourg
13 % Euranet
(société minière)
85 % flottant
(petits porteurs)
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Le seul vrai pouvoir d’Arcelorreste donc la dissuasion et l’appui politique.
● Le Gouvernement du Luxembourg (actionnaire historique d’Arcelor) :
Jean-Claude Juncker, Premier Ministre du Luxembourg, personnage clé de
l’Union européenne s’est dans un premier temps déclaré hostile à l’OPA
Mittal, puis a déclaré son opposition au rapprochement Arcelor-Severstal.
● Le Gouvernement belge (la région Wallonie est actionnaire d’Arcelor) a mandaté (10 février) la Banque Lazard pour analyser le dossier de la fusion. Ce rapport remis le 15 mai était plutôt favorable à la défense d’Arcelor.
● L’association des petits actionnaires présidée par Colette Neuville revendique la représentation de 2,5% des petits porteurs
● L’homme d’affaires Romain Zaleski , premier actionnaire d’Arcelor, avec plus de 7% du capital, devant le Grand-Duché du Luxembourg , fait figure d’homme clé, alors qu’il a déjà investi, via sa holding Carlo Tassara International (CTI), près de 2 milliards d’euros.
● Les réseaux d’influence Mittal Steel
● John Ashcroft. Cet éminent membre de l’aile droite du Parti républicain a été Secrétaire d’État à la Justice (2001-2005) avant de monter un cabinet de lobbying en 2005. Doté d’une forte réputation d’intégrité, il a été recruté en juin par Mittalet entretiendrait des relations étroites avec de nombreux gouvernements européens, y compris le gouvernement français.
● Anne Méaux (Image Sept). Ancienne responsable du service de presse de Valery Giscard d’Estaing et directrice de la communication d’Alain Madelin, Anne Méaux dispose de fortes relations avec d’éminents représentants de la droite française et des milieux d’affaires comme François Pinault (PPR)
● Les banques partenaires de Mittal Steel. Mittal a fait appel à cinq banques, qui ont joué des rôles complémentaires : Goldman Sachs, le Crédit Suisse, HSBC, Citigroup et la Société Générale. Ces banques partenaires de Mittal jouent un rôle central dans l’OPA, en particulier Goldman Sachs qui apparaît comme le pivot du dispositif. La coordination de l’OPA est ainsi réalisée depuis le Bureau londonien de Goldman Sachs, réputé depuis 2004 pour ses prises de risques et ses OPA hostiles, qui rompent avec la culture historique de la banque d’affaire, au point d’avoir été rappelé à l’ordre par le Bureau de New York, à la suite de trois échecs successifs, dont celui de Dofasco. Sur cette affaire, Goldman Sachs et Citigroup étaient les banques conseil de ThyssenKrupp, concurrent d’Arcelordans cette OPA sur le groupe canadien. Yoel Zaoui, responsable des fusions acquisition du bureau de Londres est véritablement l’une des personnes clé de l’OPA. Il a recommandé Anne Méaux à Lakshmi Mittal. Ce dernier entretient des relations anciennes avec le Crédit Suisse (son fils y a travaillé au service des fusions acquisition) et HSBC. La Société Générale s’est , quant à elle, agrégée à ce groupe de banques en cours d’OPA. Elle a ouvert un crédit de 8 milliards d’euros au groupe Mittal Steel.
● AMO International Corporate and Financial Communications. Cette alliance internationale entre le Britannique Maitland Consultancy, l’Américain AbernathyMacGregoret le Français RSCGOmnium, vise à permettre des synergies dans les communications financières à vocation internationales.
● Les réseaux d’influence d’Arcelor
● Les banques partenaires d’Arcelor. BNP Paribas et Calyon sont les banquiers traditionnels d’Arcelor et ont été mobilisés principalement sur leur capacité de financement. Merril Lynch (Marc Pandraud) et UBS ont structuré la stratégie d’Arcelor. Par ailleurs, plusieurs banques sont intervenues directement à côté des banques partenaires: Lazard a conseillé la région Wallonne; JP Morgan a conseillé l’État luxembourgeois; BBVAet BCH, banques espagnoles, ont conseillé l’État espagnol. Par ailleurs, Morgan Stanley a été mandaté par le conseil d ‘administration d’Arcelorpour l’aider à juger de la qualité des offres, indépendamment de la direction générale. Curieusement, ce rôle a été dévolu à Michael Zaoui, frère de Yoel Zaoui, artisan de la stratégie de Mittal.
● DGM–Michel Calzaroni. Cette agence de relations presse a été au centre de plusieurs batailles boursières, comme celles de Danone ou Suez.
● Publicis. Dans sa stratégie de communication, Arcelor s’est également appuyé sur Publicis Groupe, numéro deux mondial dans le secteur conseil et achat médias.
● Skadden Arps. À la tête du bureau de Paris de ce grand cabinet d’avocats, Pierre Servan-Schreiber a constitué une équipe d’une dizaine d’avocats à Paris, trois à Londres, trois en Belgique.
2. Analyse de l’OPA
2.1 Une campagne de communication bien orchestrée
● Les différents échiquiers
La qualité de la communication d’une grande entreprise est au moins aussi vitale que celle de ses montages financiers et juridiques, surtout lorsque comme c’était le cas pour Arcelor, 85% de l’actionnariat est composé de petits porteurs.
En effet, la difficulté pour Mittal n’est ni d’ordre économique, ni d’ordre
réglementaire. Les différentes autorités de concurrence ont toutes donné
leur accord à cette opération (États-Unis, Canada et UE). Une directive euro-
Image sept
Maitland Consultancy Abernathy McGregor
Stikeman & Elliott
Goldman Sachs
ACI – cabinet d’avocats
M ITTAL
John Aschcroft
Crédit Suisse
Morgan Stanley
HSBC
Jean-Yves Naouri
D. Guigou – Publicis
Ass. Actionnaires Arcelor
Deutsche Bank
ARCELOR
Merrill Lynch
Michel Calzaroni
DMG
Skadden Arps
BNP Paribas
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Image Sept Goldman sachs
MITTAL STEEL
ARCELOR
Actionnaires
Autorités
Françaises
Autorités du
Luxembourg
SEVERSTAL
Opinion
publique
Roman Zaleski
Commission
Européenne
Echiquier économique
Echiquier géopolitique
Echiquier sociétal
péenne d’avril 2004 pour rendre les OPA hostiles plus difficiles n’aura de traduction réglementaire au niveau national en France et au Luxembourg qu’en mars 2006 (voir § 4.3), autrement dit trop tardivement. La question qui se pose est donc bien d’amener le « flottant » des actionnaires à adhérer au projet de consolidation et d’expansion. C’est pourquoi, outre le terrain purement spéculatif auquel est malgré tout sensible n’importe quel actionnaire, le terrain d’affrontement s’est déplacé vers l’échiquier sociétal.
Mittal Steel et Arcelor vont donc mettre des moyens considérables pour s’affronter sur le plan de la communication via leurs réseaux d’influence respectifs. Le patron d’Arcelor estime entre 80 et 150 millions d’Euros la facture qu’il devra payer à la multitude de banquiers, avocats et communicants mobilisés sur l’opération, ce qui, at-il précisé, représente l’équivalent, pour son entreprise, d’une ligne de galvanisation! 2 Selon l’estimation de plusieurs banquiers, Mittal devra, de son côté, acquitter une facture de 150 millions d’Euros à ses cinq banques conseils : Goldman Sachs, Citigroup, Crédit suisse, Société généraleet HSBC.
Mittalavec condescendance : «Arcelor, c’est du parfum, Mittal de l’eau de Cologne » ou « Mittal, cette société d’Indiens» ou encore «l’offre de Mittal en monnaie de singe ». Ce ton méprisant vis-à-vis d’un groupe symbole de la montée en puissance des pays émergents, passera mal.
Autre atout pour Lakshmi Mittal : le coup de pouce de François Pinault (qui lui a été présenté par Anne Méaux), lui aussi un self-made-man à la tête d’un empire (PPR) et qui a accepté d’entrer au conseil d’administration de Mittal-Arcelor.
● Le lobbying
de Goldman Sachs
L’apport de GoldmanSachs a été déterminant en réussissant à fédérer progressivement la communauté d’affaires autour de ce projet. Des interrogations demeurent sur les ressorts de ces rapprochements :
● Liens personnels entre les conseillers d’affaires (les frères Zaoui). Il faut noter que Morgan Stanleya joué un rôle déterminant dans l’échec du rapprochement entre Arcelor et Severstal, en conseillant à Arcelor d’organiser une consultation très formelle des actionnaires: celle-ci, perçue comme « non démocratique » aboutira à l’échec du rapprochement.
● L’action d’Anne Méaux (Image Sept)
Mittal, par l’intermédiaire d’Anne Méaux, son conseil en communication, a fait le choix d’une stratégie de communication multiple, sophistiquée, jouant parfois davantage la carte de la perception et de l’affectif que celle des faits, dans le but de tenter de convaincre les actionnaires d’Arcelorde la pertinence de son projet industriel.
Plus que dans toute autre OPA le duel s’est joué en grande partie sur le terrain de la communication: conférences de presse, communiqués, conférences call, interviews, voyages de presse, visite des installations de Mittal Steelà Chicago et dans le Nord de la France, pleines pages de publicité financière dans les quotidiens, recours aux agences de communication…
● Communication à destination des syndicats. Dès février 2006, poursuivant son offensive de charme sur l’Europe, le groupe Mittal Steel a annoncé qu’il espérait rencontrer « dès que possible » les syndicats d’Arcelor car il se disait « impatient d’expliquer quelle est la logique industrielle qui soustend notre offre » espérant que les syndicats prendront conscience des « avantages » de cette opération. De plus, Mittal Steel s’est engagé à « honorer tous les engagements pris par Arcelor en matière d’emploi ».
●Communication à destination des actionnaires et de la presse. ImageSept a orchestré une “campagne” de presse basée sur le côté “self-made-man” de Lakshmi Mittal. De nombreux portraits de lui ont été publiés dans la presse économique et financière afin d’asseoir, au fil des semaines, une vraie crédibilité dans les sphères économiques et politiques européennes allant au-delà de l’image “people” véhiculée par les magazines à grands tirages relatant le goût du magnat indien pour les fêtes inoubliables.
Il faut également dire que Mittal a bénéficié des erreurs de communication
d’Arcelor spécialement lorsque la direction du groupe européen a attaqué
● Liens entre les banques d’affaires qui sont aussi le cas échéant des banques d’investissement. Ainsi, une vingtaine de fonds spéculatifs se sont joints à la tentative de «passage en force» organisée par GoldmanSachs, lors du conseil d’administration d’Arcelor du 26 mai. Ces fonds sont liés entre eux puisqu’ils s’étaient déjà alliés en 2005 pour faire échouer la fusion entre les Bourses de Londres et de Francfort.
2.2 Le point de rupture
On a pu dire de Guy Dollé qu’il avait pêché par “excès de vertu industrielle”, préférant moderniser ses usines plutôt que de choyer ses actionnaires, en étant indifférent au cours de bourse. Cett e faille a été identifiée et exploitée par GoldmanSachsqui a fondé toute sa stratégie sur ce gap stratégique ayant reçu un appui efficace de la communication. Dans une telle bataille, les seules forces qui comptent, ce sont les actionnaires et non pas les pouvoirs publics, sur lesquels Arcelor a cru pouvoir s’appuyer.
● Arcelor sur la défensive
Arcelor a effectué une première tentative de séduction envers son actionnariat le 16 février en doublant pratiquement son dividende 2005 pour éviter que ses actionnaires ne cèdent aux propositions de Mittal. Le 4 avril, Arcelorgonfle encore son dividende et promet de distribuer 5 milliards d’Euros à ses actionnaires. Il met à l’abri sa nouvelle filiale canadienne Dofasco dans une fondation aux Pays-Bas.
Le 26 mai, les dirigeants d’Arcelor choisissent de se rapprocher du sidérurgiste russe Alexei Mordachov patron de Severstal (un proche du président Poutine) en réalisant une OPRA (Offre Public de Rachat d’Actions)3 permettant à Arcelor de distribuer à ses actionnaires 6,5 milliards d’euros. Alexei Mordachov, propose un mois plus tard de réduire sa part prévue dans Arcelorde 32% à 25%, afin d’améliorer son offre contestée par les actionnaires.
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• La mécanique de Mittal Steel pour “verrouiller” l’actionnariat
Les dirigeants de Mittal, en particulier Lakshmi Mittal, ont rencontré 70% des actionnaires, ou de leurs représentants, pour les convaincre de la qualité du projet industriel.
Le 19 mai, Mittal Steel relève une première fois, de 34 %, son OPA, à 25,8 milliards d’euros et augmente la proportion en liquide de l’offre (par rapport à la proportion en échange d’actions). Il accepte, en outre, d’installer au Luxembourg le siège social d’un groupe fusionné. Lakshmi Mittal prend en compte les observations des actionnaires afin de proposer une vraie “fusion d’égaux” et d’améliorer la gouvernance de son groupe, en termes de transparence, de respect des actionnaires minoritaires et d’ouverture à des personnalités indépendantes. François Pinault entre au conseil d’administration de Mittal.
Le 31 mai GoldmanSachs, proche des hedgefunds (fonds spéculatifs), produit une “requête” dans laquelle près de 30% des actionnaires d’Arcelor demandent aux dirigeants du groupe de modifier la procédure visant à entériner le mariage avec Severstal. Mais quels sont ces fonds spéculatifs que l’on mobilise? Nathaniel Rothschild, coprésident du fonds spéculatif Atticus Partners, possède 1,3% d’Arceloret 1,2% de Mittal est un acteur moteur. Ce sont d’autres fonds spéculatifs et les fonds de pension anglo-saxons (Fidelity, Merrill Lynch, Deka, Centaurus, Heyman Investment Associates, etc.) qui possèdent environ 30% d’Arcelor qui suivent le mouvement. Ces actionnaires “indépendants” ont manifestement pris parti.
Cette fronde des actionnaires minoritaires, fin mai, constitue donc un point de basculement, dans le rapport de force. Elle est le fruit de la mobilisation réussie de l’actionnariat par Goldman Sachs.
Très rapidement, le point de non- retour est atteint, avec l’intervention d’un élément clef dans le dispositif de Mittal, lorsque, le 19 juin, le financier franco-polonais Romain Zaleski se prononce contre le projet de rachat massif d’actions qui doit faire mécaniquement monter Severstal au capital d’Arcelor. Dans le même temps, il monte à 7,40% du capital, ce qui pousse la direction d’Arcelorà différer son OPRA. Enfin le 22 juin : Romain Zaleski monte à 7,79% du capital d’Arcelor.
Le 25 juin, Arcelorva fusionner avec Mittal Steelen acceptant finalement une offre améliorée, soit 10% de plus que précédemment. Si la stratégie d’Arcelor était de faire monter les enchères pour tirer le maximum de l’OPA, on peut parler de victoire. Mais est-ce la bonne grille de lecture?
3. Les différentes stratégies
soutendant l’OPA
Quels sont les ressorts sur lesquels s’est construite cette opération lancée par Mittal et dans quelle perspective s’inscrit-elle? Trois hypothèses peuvent être formulées, qui ne sont pas exclusives les unes des autres.
3.1 Une alliance géostratégique entre les États-Unis et l’Inde pour contrer la Chine?
Équilibrer la puissance chinoise en Asie
La vision géopolitique américaine laisse traditionnellement peu de place au mutlilatéralisme. Depuis la chute du mur de Berlin, et encore plus depuis les attentats de 2001, les États-Unis s’inscrivent dans une perspective de consolidation de leur statut “d’hyperpuissance”.
En conséquence, tout État ou groupe d’États en mesure de contester ce rôle est un adversaire avéré ou potentiel dont il convient de contrôler le rayonnement. Dans ce contexte, les États-Unis voient avec inquiétude l’expansion économique de la Chine, dans la mesure où elle est assortie sur la période récente, d’une véritable stratégie de constitution d’alliances géo-
économiques, fondement d’un positionnement géopolitique. Cette diplomatie économique des Chinois est particulièrement évidente en Afrique, mais n’exclut aucune zone, y compris l’Amérique latine, pré carré histo- rique des États-Unis. En Asie, la Chine renforce sa stratégie de « bouclier » avec les États limitrophes, en nouant des alliances systématiques. Ainsi, la Chine et l’Inde ont conclu un accord-cadre géostratégique en 2005, qui matérialise une volonté de rapprochement et d’apaisement entre ces deux États historiquement hostiles. Plus généralement, les rapprochements entre États, opérés au sein d’une Asie en pleine croissance sont perçus comme une menace potentielle pour le leadership des États-Unis.
La stratégie américaine consiste alors à tenter de contrôler ce mouvement d’alliance, d’une part et à isoler la Chine, principale source de menace au sein de l’Asie, d’autre part. Dans cette perspective, l’Inde apparaît comme la puissance régionale capable de cantonner la progression chinoise et un véritable point d’appui de la politique américaine dans la région. Ce choix d’alliance a été exposé de façon explicite, dès 2000, par le Président Clinton et a été confirmé à la suite des attentats du 11 septembre. Depuis, les principaux dirigeants américains multiplient les visites dans ce pays: le président Bush s’est rendu en Inde au début de l’année 2006. Les coopérations économiques se renforcent également, y compris dans les domaines aussi sensibles que la coopération spatiale.
La maîtrise des “commodités” : nouveau nœud gordien de la puissance
Dans un monde qui enregistre une forte croissance économique, en particulier en Asie, les “commodités” (matières premières, énergie, logistique….) deviennent des biens rares et chers, donc stratégiques pour les États. Ainsi, pour ce qui concerne l’acier, les prix ont fortement progressé ces dernières années, compte tenu du déséquilibre entre l’offre et la demande. L’OPA lancée par Mittal sur Arcelor s’inscrit dans un contexte sous tension :
L’Inde et la Chine regagnent de la maîtrise sur leur approvisionnement d’acier. En effet, les deux pays ont fortement accru leur production pour réduire leur dépendance:
– La Chine enregistre une forte hausse de sa production ces dernières années et l’on recense désormais 900 aciéries indépendantes sur son sol. Néanmoins, en 2005, sa consommation a plafonné : alors qu’elle consomme un tiers de l’acier mondial, elle est ainsi devenue exportatrice nette en 20054 et l’écart entre production et consommation devrait s’amplifier en 2006.
– En 2005, l’Inde a également enregistré une surproduction d’acier.
L’accélération des concentrations dans un secteur traditionnellement éclaté, aboutit à la construction de nouveaux leviers de pouvoirs et d’orientation, dans un secteur jugé stratégique. Ainsi, les analystes ont considéré que la fusion, en début d’année, entre Arceloret Dofascobouleversait la donne de ce secteur. En outre, pour la première fois, Arcelor« chassait» sur les terres de Mittal, en s’opposant au passage à ThyssenKrupp, un allié traditionnel de celui-ci.
Dans les deux cas, regain d’indépendance de puissances émergentes et vaste mécano d’entreprises mondiales, l’intérêt objectif des USA est de peser sur ces évolutions.
L’OPA de Mittal sur Arcelor : un instrument pour reprendre la main?
Dans la logique américaine, Mittal est un groupe dont le positionnement est particulièrement intéressant :
Du fait de la nationalité des dirigeants. Bien que le groupe ne possède pas d’intérêts importants en Inde, il est néanmoins considéré comme “indien” par les autorités de ce pays.
Du fait de son début d’implantation en Chine. En 2004, Mittal Steel devient le premier groupe étranger à prendre une participation dans un producteur d’acier chinois, contrôlé par l’État : 37,17% de Hunan Valin SteelTube and Wire. Cette opération est considérée par Mittal comme une acquisition clé.
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Signe évident d’intérêt : le ministère américain de la justice a ouvert une enquête de concurrence sur l’OPA de Mittal, estimant avoir un droit de regard sur cette transaction, compte tenu du poids des importations d’acier aux USA. Il faut également souligner l’attitude bienveillante de la communauté américaine de l’acier à l’égard de cette OPA.
L’OPA perturbe finalement peu la situation de l’acier sur le marché nord américain, Mittal Steel y étant déjà très présent5. De nombreux acteurs majeurs du marché US de l’acier se sont exprimés pour soutenir cette opération. Quelques exemples : “Le sentiment aux États-Unis, c’est que l’opération marchera grâce aux synergies escomptées. La consolidation est nécessaire”6. “Le consensus en Amérique du Nord c’est que Mittal devrait gagner parce que l’opération a un sens”7.
Enfin, la communauté financière américaine a été particulièrement active pour favoriser cette OPA, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs (rôle important d’Atticus Capital, entre autres) ou du rôle central de Goldman Sachs, déjà évoqué. Sur ce dernier point, rappelons les liens particulièrement étroits entre la banque d’affaire et les autorités américaines. Goldman Sachs est en effet devenu un vivier dans lequel la Maison Blanche puise régulièrement pour attribuer des postes stratégiques de l’administration américaine.
Hank Paulson, Président de Goldman Sachs jusqu’à juin 2006 vient d’être nommé au poste de Secrétaire au Trésor par Georges W. Bush. Il rejoint Joshua Bolten, issu de la même société et nouveau directeur de cabinet du Président. Stephen Friedman, prédécesseur de Hank Paulson, travailla 28 ans pour Goldman Sachs où il a occupé la fonction de Coprésident de 1990 à 1992 avant d’accepter le poste de conseiller économique du président Bush de 2002 à 2005. Robert Rubin occupa le poste de Vice Président de GoldmanSachs de 1987 à 1990 puis de Coprésident de 1990 à 1992 avant d’accepter les fonctions de secrétaire au Trésor sous l’administration Clinton.
En retour, la banque d’affaires emploie d’anciens diplomates américains. Ainsi, Robert Zoellick, ancien Secrétaire d’État adjoint, est retourné, en mai 2006, chez Goldman Sachs comme vice-président, après l’avoir quitté en 1999 pour travailler aux côtés de Condoleezza Rice. Au-delà des liens directs avec l’administration américaine, Goldman Sachs se positionne sur des projets qui servent les intérêts américains et entretient des liens avec le groupe Carlyle, dont l’activisme au service de la puissance américaine est parfaitement connu. Ainsi, en 2005, les deux sociétés ont annoncé leur intention de créer une entreprise d’exploration pétrolière offshore, appelée Cobalt International Energy. Les deux partenaires comptent y investir 500 millions de dollars. La société sera dirigée par Joseph Bryant, l’ancien président du pétrolier américain Unocal. Les deux associés comptent en particulier explorer les eaux profondes du golfe du Mexique.
Carlyleet GoldmanSachsont également un homme commun: Oscar Fanjul. Président d’Honneur de Repsol SA et Vice-President de la société Omega Capital, Oscar Fanjul est notamment administrateur d’Unilever, de Marsh & McLennan Companieset du LondonStockExchange. Il siège au Conseil de surveillance de Carlyle Group en Europe et de Sviluppo Italia. Il est également Conseiller international de Goldman&Sachs.
En somme, l’OPA de Mittal sur Arcelor sert parfaitement les intérêts économiques et politiques des États-Unis et des acteurs, liés à l’administration américaine, y ont pris une part majeure.
3.2 Une stratégie financière prenant le pas sur la stratégie industrielle?
e La logique financière de l’OPA de Mittal Steel
Depuis le début de l’année 2006, trois opérations majeures secouent le marché français : l’OPA de Mittal sur Arcelor, la bataille de GDF et d’Enel pour Suez, et le rapprochement entre les Caisses d’Épargne et Natexis. Ces opérations sont-elles seulement liées à la bonne santé boursière des entreprises, combinée à un faible niveau des taux d’intérêt, ce qui permet aux entreprises de s’endetter pour financer des rachats?
Notons que dans 80% des cas, ce sont les banques d’affaires qui sont à l’origine des projets d’acquisition ou d’investissement. Seulement 20 % des offres publiques d’achat sont suscitées par les entreprises.
Dans une conjoncture actuellement très favorable, la demande d’acier devant croître de 5 à 6 % en 2006, les grands sidérurgistes se montrent hyperactifs, multipliant les investissements massifs mais également les acquisitions. Rappelons la lutte qui opposait il y a quelques mois de cela le groupe Arcelor à l’allemand Thyssenkrupppour l’acquisition du Canadien Dofasco.
Les groupes sidérurgiques constitués sont en effet à l’affût de toute occasion de croissance externe. “Le secteur de la sidérurgie est très fragmenté et compte actuellement de multiples micro-acteurs spécialisés sur des activités spécifiques telles que l’automobile, le BTP ou encore le pétrole. La poursuite du mouvement de concentration semble inévitable” 8.
e La logique industrielle de l’OPA de Mittal Steel
La stratégie du groupe qui est devenu Mittal Steel a reposé sur les postulats suivants : « L’acier est intensif en capital et en travail ». Pour Mittal cette industrie ne peut être rentable que si ces deux facteurs peuvent être maintenus au plus bas et la productivité augmentée par des investissements et un management de qualité. Le développement de Mittal Steelse réalise donc essentiellement sur la base d’une croissance externe.
Mittal rachète des entreprises à des conditions financières très avantageuses car souvent en difficultés économiques et parvient à les redresser pour en faire des industries rentables financièrement. La gestion de Mittal est donc très pragmatique notamment en matière de gestion des coûts.
Le monde de l’acier est alors entré dans une phase de consolidation mondiale depuis 2005. C’est un secteur fragmenté où les cinq premiers acteurs mondiaux représentent moins de 20% du marché. Cette situation contraste avec la concentration en amont, où trois acteurs – CVRD, BHPBilliton et Rio Tinto, deux Australiens et un Brésilien – verrouillent 80% du marché du minerai de fer, et où en aval les grands clients, comme l’automobile, sont très puissants.
Le marché de l’acier ne peut donc fonctionner sainement face à des fournisseurs de minerais ultra-concentrés, qui maîtrisent la fluctuation des prix des matières premières. Un constat dont Mittal tire trois nécessités :
1. S’intégrer verticalement en amont de la chaîne de valeur, pour s’assurer un bon approvisionnement, notamment en minerai de fer : Mittal Steelest aujourd’hui autosuffisant à 40% de ses besoins dans ce domaine, ce qui lui permet de maintenir des coûts relativement bas.
“ La communauté financière américaine
a été particulièrement active pour favoriser
cette OPA, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs
(rôle important d’Atticus Capital, entre autres)
ou du rôle central de Goldman Sachs.
Sur ce dernier point, rappelons les liens
particulièrement étroits entre la banque
d’affaires et les autorités américaines.
Goldman Sachs est en effet devenu un vivier
dans lequel la Maison Blanche puise
régulièrement pour attribuer des postes
stratégiques de l’administration américaine.”
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Accélérer la concentration : aussi Mittal appelle de ses vœux la création de “trois ou quatre grands groupes produisant chacun de 80 à 100 millions de tonnes d’acier par an”, qui auraient la capacité d’influencer les prix et les niveaux de production.
Profiter des actifs abandonnés par les sidérurgistes, en les achetant à bas prix et en les restructurant. Objectif : “Devenir dans l’acier l’institution la plus respectée du monde et le modèle de référence du secteur”9.
Même si la fusion avec Arcelorconstitue une étape majeure dans cette direction, il convient de noter que l’entité Mittal-Arcelor ne représentera au total qu’à peine 10% d’un marché en croissance. De surcroît, même si elle va accélérer le mouvement de concentration, cette fusion ne changera pas fondamentalement la donne, car les deux groupes n’ont pas de clients communs.
Il faut donc rechercher ailleurs des effets bénéfiques d’une consolidation Mittal -Arcelor. Sous le même terme générique d’acier, les deux groupes ne font pas le même métier : acier haut de gamme pour Arcelor, acier de commodité pour Mittal. C’est ce qui explique qu’Arcelor, malgré une production inférieure, soit le numéro un mondial de l’acier en terme de chiffre d’affaires.
Les deux groupes se complètent géographiquement et en gamme de produits. Mittal est leader en Amérique du nord et en Europe de l’Est, après avoir racheté beaucoup d’aciéries en Pologne et au Kazakhstan. Arcelorest principalement présent en Europe de l’Ouest et en Amérique du Sud.
D’après les experts, quelques années séparent les deux entreprises du point de vue qualitatif. L’avance technologique des aciéries traditionnelles d’Europe de l’Ouest comme Arbed, Aceralia et Usinor, dont est issu Arcelor en 2001, est remarquable. En reprenant Arcelor, Mittal peut proposer une plus grande gamme de produits et augmenter la qualité de l’acier produit dans ses anciennes usines. Les bénéfices de la fusion s’élèveraient à près d’un milliard de dollars.
3.3 Une absence de stratégie française et européenne?
L’Europe s’est construite sur des symboles économiques et politiques forts
Le traité de Paris, signé le 18 avril 1951, qui institue la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a été conclu pour 50 ans. Les six pays signataires, l’Allemagne, la France, l’Italie, et les trois pays du Benelux ont souhaité mettre en œuvre une forme de coopération internationale entièrement nouvelle, basée sur la mise en commun des productions de charbon et de l’acier.
Il s’agissait alors de bâtir la première étape de la Construction européenne naissante, en stabilisant l’économie allemande et en l’arrimant à l’Ouest, et de changer les destins de régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre. Un marché commun du charbon et de l’acier est instauré, qui implique la suppression des droits de douane et des restrictions quantitatives à la libre circulation des produits, l’interdiction des mesures discriminatoires et des subventions ou aides accordées par les États.
Le marché est régi par le principe de libre concurrence, mais la communauté préserve le contrôle de son approvisionnement et la fixation des prix au plus bas niveau. La création de la communauté européenne par le traité de Rome, replace le secteur du charbon et de l’acier dans le cadre des politiques communes européennes, sans modifier les orientations stratégiques. Jusque dans les années 1980, ce cadre a permis à l’Europe d’assurer son approvisionnement.
Les années 1980–1990: une pause dans le volontarisme économique?
Les restructurations des années 1980, conjuguées au mouvement de concentration des acteurs depuis le début des années 1990, conduisent à une situation nouvelle. Dans ce contexte, peut-on encore parler de politique voire de stratégie de l’acier en France et en Europe?
Les concentrations dans le secteur de l’acier.
Depuis la fin des années 1990, l’industrie de l’acier en Europe s’est concentrée par le jeu des fusions- acquisitions. Arcelor, issu de la fusion en février 2002 d’Usinor (France), d’Arbed (Luxembourg) et d’Aceralia (Espagne), est le numéro deux mondial de l’acier avec une production d’environ 46 millions de tonnes par an.
Il est présent dans quatre domaines d’activités : il est le premier producteur mondial dans les Aciers Plats Carbone, activité principale du groupe avec près de la moitié du chiffre d’affaires, et les Aciers Longs Carbone, l’un des leaders mondiaux pour la production d’Aciers Inoxydables, et parmi les premiers en Europe pour le secteur Distribution-Transformation-Trading.
Cependant, dans le secteur de l’acier, les concentrations se jouent à l’échelle mondiale. La faible croissance de l’Union européenne représente donc un handicap pour les fleurons industriels, même fortement internationalisés, face à des acteurs ancrés dans des pays en forte croissance.
De l’intégration des marchés à la recherche de compétitivité : la muta– tion de la politique européenne de la concurrence.
La politique européenne de la concurrence naît avec la CECA: il s’agissait alors de favoriser l’intégration du marché européen. Cette ligne directrice sera reprise dans le Traité de Rome et va perdurer jusque dans les années 1980. À ce moment, l’objectif d’intégration des marchés de biens industriels étant en grande partie réalisé, la politique de concurrence opère une mutation pour tenir compte de l’ouverture croissante des économies.
La recherche de compétitivité est alors devenue le moteur de l’action, sanctionnant prioritairement les positions dominantes qui pénalisent le consommateur. Concrètement, elle prend la forme d’un arsenal juridique qui condamne les accords horizontaux, verticaux, les abus de position dominante, limite les concentrations, les aides d’État et condamne la concurrence déloyale.
Ainsi, le programme de libéralisation a débuté dans les années 1980, avec les télécommunications, s’est étendu aux industries de réseau, avant d’atteindre une portée générale. La politique de la concurrence a acquis un statut quasi constitutionnel. La direction générale de la concurrence s’est progressivement dotée de vastes compétences, de moyens humains conséquents et, de ce que certains décrivent comme « un véritable engagement évangélique et même moral, en faveur du marché libre ».
Cette direction générale est chapeautée par un commissaire qui « exerce ses fonctions en pleine indépendance, dans l’intérêt général de la Communauté ».10 Depuis les années 1990, la DG concurrence s’est surtout attachée à travailler sur les concentrations (1er règlement sur les concentrations en 1989)
Cette nouvelle posture n’est pas sans faille, car elle conduit à freiner par principe, les concentrations entre entreprises européennes, condamnant ainsi la création de « champions» industriels nationaux ou européens, seuls à même de maintenir une concurrence réelle au niveau mondial.
Il semblerait que l’Europe n’ait jamais engagé la moindre réflexion sur la sécurité économique des entreprises européennes ou des secteurs « stratégiques », ni sur les matériaux et les minerais.
Quels nouveaux leviers dans un monde instable ?
Vers une refonte de la politique européenne de concurrence
L’action de la DG concurrence, en matière de concentration est de plus en plus questionnée. La Commission a même été sanctionnée par le TPI en 2002 (3 sanctions en 4 mois), qui a remis en cause ses compétences économiques pour juger des pratiques de concentration.
Cette sanction a entraîné une prise de conscience conduisant à proposer une modernisation du contenu et des moyens de la politique de concurrence dans l’Union Européenne. En substance, il s’agit de remplacer une approche strictement juridique par une approche économique, fondée sur le pouvoir de marché et les pratiques anticoncurrentielles.
Si cette évolution présente certaines améliorations dans le pilotage de la
politique de la concurrence, en mettant fin au formalisme légal, elle ne
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DOSSIIER
remet cependant pas véritablement en cause ses orientations. Il convient donc de s’interroger sur ces dernières, au regard de l’enjeu que constitue la maîtrise de certains leviers de l’action économique, par les acteurs européens. Quelle est la réponse de l’Europe face aux stratégies de puissance déployées par d’autres États, avec l’aide d’acteurs économiques de premier plan? La réforme technique de la politique de concurrence n’apporte pas de vision.
● Une réponse française est–elle possible?
La multiplication des OPA hostiles ces dernières années, a suscité des réactions de la part d’une partie de la communauté d’affaires et de la classe politique. Ainsi, la directive OPA, adoptée en avril 2004 après quinze ans de négociations entre les États membres, a finalement été transposée en France par une loi du 31 mars 2006.
Le mécanisme proposé par le ministre de l’Économie consiste à autoriser le conseil d’administration de l’entreprise ciblée à émettre des bons de souscription d’actions (BSA). L’assemblée générale des actionnaires pourra alors donner mandat au conseil pour émettre ces bons, soit à froid, soit en cours d’une OPA. Un BSA donne droit à son titulaire de souscrire à une action jusqu’à une date déterminée et à un prix avantageux, fixé d’avance. Concrètement, si une entreprise, cible d’une OPA hostile, distribue des BSA à ses actionnaires, et si ces derniers les exercent, ils reçoivent autant d’actions nouvelles de la société. Le capital de la cible et le coût pour l’assaillant augmentent donc mécaniquement.
Quoi qu’il en soit cet amendement ne pouvait pas s’appliquer à l’OPA lancée par Mittal Steel sur Arcelor, le sidérurgiste européen étant soumis au droit luxembourgeois et non à la législation française. De la même manière cette transposition de la directive sur les OPA par le Luxembourg, au mois de mai, est arrivée bien tard dans le processus. Parallèlement à cette démarche, il faut noter l’existence du décret de décembre 2005 portant sur les prises de participation étrangères dans 11 secteurs stratégiques. Malheureusement, l’acier n’y figure pas, contrairement aux casinos et jeux d’argent qui ont été intégrés, non pour leur caractère stratégique, mais parce qu’ils sont susceptibles de permettre le blanchiment de l’argent du crime.
Ces réactions françaises, bien que maladroites jusqu’à présent, ont le mérite de traduire une véritable prise de conscience des enjeux. L’espace laissé par la réglementation est étroit et, à ce jour, est handicapé par un cadre européen inadapté. Sans abandonner ce terrain, il convient sans doute pour l’avenir, de déployer d’autres outils, notamment financiers, pour permettre aux Européens de maîtriser les leviers économiques qui assurent leur prospérité. ■
NOTES::
La Tribune 19/04/2006
Le Monde du 30/06/2006
L’OPRAest une offre publique relevant de la procédure simplifiée (calendrier court, soit 10 jours de bourse)
Étude Cyclope 2005
Communiqué de presse Mittal, repris par l’AFP, 8 mars 2006
Rob Hanes, directeur des achats de Ambassador Steel.
Laurenc Straub, PDG d’Intermetals Corporation
Yan Azuelos, gérant chez Meeschaert.
Lakshmi Mittal – Rapport annuel 2004
Traité de Rome.
prévoir?
Sylvain Brunet : “L’OPA de Mittal
relance le débat sur la création
de fonds de pension français.”
Analyste financier en Recherche Actions dans la société de bourse Exane-BNP Paribas, Sylvain Brunet est en charge de la recherche sur le secteur des métaux. Il avait réalisé, en octobre 2005, une étude anticipant le risque d’une OPA de Mittal Steel sur Arcelor.
Dans quel contexte s’est produite l’OPA de Mittal sur Arcelor?
Cette OPA a été lancée dans un contexte de forte croissance des marchés de commodités résultant de la quasi-révolution industrielle chinoise qui a permis à la sidérurgie de retrouver, depuis 2003, la croissance annuelle de 3 à 4% qu’elle n’avait plus connue depuis le choc pétrolier de 1973. Actuellement, dans ce secteur, 50% de l’incrément de croissance vient de Chine. Cette première tendance en a entraîné une seconde: le renchérissement du coût des matières premières à cause de la faiblesse des investissements consentis par le secteur minier dans la période de récession.
Est–ce ce contexte qui vous a permis de prévoir, dès octobre 2005, l’OPA de
Mittal sur Arcelor?
Le retour à la croissance est effectivement fondamental, car il a permis un désendettement rapide des acteurs de la sidérurgie dont le niveau d’endettement atteignait encore 70% des fonds propres en 2001-2002, ce qui naturellement rendait hasardeuse toute politique d’acquisition. Mais dès lors que les entreprises retrouvaient à la fois des liquidités et des perspectives de croissance, tout redevenait possible et même nécessaire dans la mesure où le problème majeur du secteur est son insuffisante concentration par rapport aux fournisseurs et aux clients. Côté fournisseur, les dix premiers producteurs de minerai de fer représentent 80% du marché mondial ce qui a conduit à une hausse des prix de 70% en 2005 et de 20% en 2006! Côté client, la situation est comparable : ainsi, dans l’automobile, les dix premiers constructeurs totalisent 60% du marché. En revanche, dans la sidérurgie, les dix premiers producteurs ne représentent que 27% du marché. La consolidation du secteur est donc un impératif stratégique.
Constater un contexte de consolidation est une chose. Anticiper précisé–
ment l’OPA de Mittal en est une autre. Qu’est–ce qui vous a conduit à la
Plusieurs facteurs conduisaient à prévoir cette OPA concrétisant soudainement le risque de voir les acteurs émergents se transformer en prédateurs. Les plus importants résident dans les faiblesses d’Arcelor qui cumulaient les handicaps d’une absence de noyau dur d’actionnaires et d’une valorisation boursière insuffisante. Si l’on ajoute à cela la cohérence industrielle et financière du projet de fusion, on comprend que l’OPA était prévisible.
Dès lors que ce risque était prévisible, comment expliquer qu’il n’ait pu être conjuré, et quels enseignements peut–on en tirer?
À mon sens, il convient de prendre acte que, pour les sociétés cotées, le meilleur rempart est un cours de bourse solide passant par un dialogue permanent avec le marché et une écoute attentive des attentes de l’actionnaire. Il faut ainsi souligner que les actionnaires d’Arcelor s’estimaient lésés par les décisions du groupe. Après un dernier trimestre 2005 sans annonce de rémunération, le déroulement de l’OPA sur le Canadien Dofasco a achevé d’échauder des actionnaires estimant que leurs intérêts étaient sacrifiés à cette opération devenue extrêmement coûteuse à cause de la concurrence avec ThyssenKrupp. Mieux soignés, les actionnaires auraient peut-être réagi différemment à l’offre de Mittal. Cependant l’affaire Arcelor-Mittal incite aussi à s’interroger sur la forme du capitalisme français. Un patriotisme économique efficace et sans ingérence ne passe-t-il pas par la création de noyaux durs d’actionnaires? Je pense que l’OPA réussie de Mittal oblige à relancer le débat sur la création de fonds de pension français, tant sont criantes les fragilités d’un “capitalisme sans capital”.
Propos recueilis par Christophe Blanc
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